RECOURS
adressé au
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
par
- Monsieur Georges TAFELMACHER, route du Port 22, à 1009 Pully,
- Madame Christina SPILLMANN, chemin des Peupliers 9a, à 1009 Pully,
- Monsieur Joël DEPOMMIER, chemin de Mallieu 11, à 1009 Pully,
- Association "Collectif d'Action pour le Développement Durable du Centre de Pully" (CADDCP) et le groupe de travail "Collectif d'opposition au Parking de la COOP", représentée par Monsieur Joël DEPOMMIER,
- Association "Collectif d'habitation et des Usagers des Lieux Communs de l'Oasis", représentée par Monsieur Ulrich HEDIGER, avenue C-F Ramuz, à 1009 Pully.
dont le conseil est l'avocat Christophe TAFELMACHER, rue du Valentin 20, case postale, à 1000 Lausanne 17,
contre
La décision rendue le 24 avril 2002 par LA COMMUNE DE PULLY, décision par laquelle sont rejetées les oppositions formées par les recourants au projet de démolition d'un bâtiment à usage mixte avec création de 25 places de stationnement extérieures.
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RECEVABILITÉ
La décision attaquée, datée du 24 avril 2002 et postée le 26 avril 2002, a été notifiée à Monsieur Georges TAFELMACHER, s'agissant tant de son opposition propre que de celle du "Collectif d'Action pour le Développement Durable du Centre de Pully" par son groupe de travail "Collectif d'opposition au projet du Parking de la COOP", le 29 avril 2002 (pièces 1, 2 et 3).
Déposé sous pli recommandé dans un bureau de poste suisse à l'adresse du Tribunal administratif le 21 mai 2002, le présent recours est interjeté dans le délai légal de 20 jours, soit en temps utile.
Il est signé par le conseil du recourant, au bénéfice de procurations expresses produites en annexe (pièces 4, 5, 6), ainsi que d'une procuration orale de la part de Madame Christina SPILLMANN.
Au vu de quoi, le recours est recevable à la forme.
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FAITS
La société "COOP Vaud, Chablais, Valais" (ci-après : COOP) est propriétaire d'un bâtiment avec affectation mixte, sis sur la parcelle n°314 du cadastre communal, également connu comme l'ancien hôtel-restaurant OASIS.
- Elle exploite par ailleurs un centre commercial situé sur la parcelle n°328, qui est adjacente à la parcelle précitée.
Début septembre 2001, des jeunes étudiants, artistes et indépendants peu fortunés ont pris domicile dans le bâtiment en cause. Rapidement, ce lieu de résidence est devenu également un espace ouvert au public et de nombreuses activités culturelles ont été développées. Constatant une identité de buts et de motivations, le CADDCP s'est associé avec les occupants pour gérer ces activités et mener ses activités dans les locaux dudit bâtiment. On peut signaler notamment, outre les réunions du CADDCP, la tenue d'un Café communautaire et de rencontre ouvert sur le quartier, la gestion d'une bibliothèque populaire, des échanges d'habits, des activités culturelles et l'entretien des espaces verts. Le développement de ces activités a été communiqué à la COOP, qui s'est déclarée ouverte à la discussion (pièces 7 et 8).
- Quant à la commune de Pully, elle a non seulement été informée de la situation, mais elle a en plus accepté de fournir l'eau et l'électricité, selon décision du 28 novembre 2001 (pièce 9).
- Par avis d'enquête du 22 février 2002, la Municipalité de la commune de Pully (ci-après : la Municipalité) a soumis à l'enquête publique un projet de démolition dudit bâtiment et de création de 25 places de stationnement extérieures (pièce 10).
- Conformément à la législation, un délai d'opposition a été fixé, avec échéance le 14 mars 2002.
- La COOP a annoncé publiquement son intention d'agrandir son centre commercial, et en particulier de construire un parking souterrain (pièce 11).
Le 14 mars 2002, Monsieur Georges TAFELMACHER, ainsi que le CADDCP par le biais de son groupe de travail "Collectif d'opposition au projet de Parking COOP", ont fait opposition à ce projet, remettant en cause l'opportunité, voire la légalité de l'autorisation de démolir (pièce 12).
Le 24 avril 2002, la Municipalité a décidé de lever les oppositions et de délivrer le permis sollicité pour le projet susmentionné. C'est cette décision qui fait l'objet du présent recours (pièces 1 et 2).
Une expertise a été effectuée sur le bâtiment en cause par Monsieur Marco SONDEREGGER, architecte. Dans un rapport daté du 21 mai 2002, ce dernier conclut au très bon état général des façades, des structures porteuses intérieures et des fondations, et considère que le bâtiment ne représente pas un danger pour la santé des usagers ou pour des tiers (pièce 13).
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QUALITE POUR RECOURIR
L'article 109 de la Loi vaudoise sur l'aménagement du territoire et des constructions (ci-après : LATC), en ce qu'il ne pose aucune condition, offre la qualité de partie à tous les administrés qui désirent participer à la procédure. Ainsi, pour les enquêtes publiques en matière de permis de construire ou de démolir, quiconque peut intervenir, faire des oppositions ou des remarques, sans limitation prévue par la loi. C'est d'ailleurs dans ce sens que la Municipalité a donné suite à l'opposition des recourants en rendant une décision formelle.
Cependant, si tous les intervenants reçoivent la décision, seulement certains d'entre eux peuvent former recours. Ils doivent en effet bénéficier de la qualité pour recourir fixée de manière plus précise dans la loi (Benoît BOVAY, Procédure Administrative, Berne 2000, p.132).
Selon l'article 37, 1er alinéa LJPA, "le droit de recours appartient à toute personne physique ou morale qui est atteinte par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée". En reconnaissant la qualité pour recourir à toute personne disposant d'un intérêt digne de protection, la loi pose comme condition que le recourant soit atteint dans ses intérêts de nature matérielle, économique, idéale ou autre par la décision attaquée (BOVAY, op. cit., pp. 350-351).
Un intérêt digne de protection existe lorsque la situation juridique ou de fait peut être influencée par l'issue de la procédure (ATF 110 Ib 400). Il doit y avoir une atteinte directe et une relation particulièrement étroite avec l'objet du litige. Cet intérêt peut d'ailleurs être positif ou négatif, de nature juridique ou simple intérêt de fait. Il appartient tant à celui à qui la décision contestée cause des inconvénients que le succès du recours éliminerait, qu'à celui à qui l'aboutissement du recours procurerait des avantages dont la décision entreprise le prive. En d'autres termes, l'intérêt digne de protection consiste en l'utilité pratique que le succès du recours constituerait pour le recourant, c'est-à-dire dans l'élimination du dommage matériel ou idéal que lui causerait la décision attaquée (ATF 116 Ib 323 ; voir aussi RDAF 1999 I 90 et 1999 I 400, spécialement 403, cité par BOVAY).
En l'espèce, la décision attaquée autorise la démolition prématurée d'un bâtiment qui, comme indiqué plus haut, est devenu un lieu de vie collectif et d'animation culturelle. Les recourants ont développé personnellement les activités suivantes :
- M. TAFELMACHER : tenue d'un café, lieu de rencontre et de partage, d'ouverture sociale et communautaire ;
- M. DEPOMMIER : organisation d'un bureau de presse et de soirées de discussion ;
- Mme SPILLMANN : aménagement d'une bibliothèque, avec échanges de livres, activités culturelles et cours de langues ;
- M. HEDIGER : entretien des espaces verts et du jardin.
Il en va de même pour les associations recourantes. Celles-ci développent leurs activités dans le bâtiment en cause, telles que: organisation d'un Café philosophique; tenue d'un "Infokiosk" permettant la consultation de périodiques, revues ou articles de presse, ainsi que l'organisation de conférences sur les enjeux politiques; activités théâtrales, musicales, et organisation de soirées de contes; offre hebdomadaire de repas végétariens à prix d'étudiant.
- Ces diverses activités peuvent être aisément prouvées par les témoins dont l'audition sera requise.
Comme on le voit, la démolition de l'ancien hôtel-restaurant OASIS porterait directement atteinte aux intérêts de fait tant des personnes susnommées que des associations recourantes.
A ceci s'ajoute le fait que la création de places de parc aura pour conséquence d'empêcher les recourants de poursuivre à l'avenir leurs activités. Il s'agit donc d'une atteinte de longue durée, pour ne pas dire définitive.
Tous ces éléments montrent que les recourants sont touchés plus que quiconque par la décision attaquée, ayant à la fois un intérêt bien distinct de celui des autres membres de la collectivité, et un intérêt direct en ce qu'il est lié à la sauvegarde dudit bâtiment par l'annulation de l'autorisation de démolir et de construire des places de parc.
- La qualité pour recourir contre la décision du 24 avril 2002 doit en conséquence leur être reconnue.
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MOYENS
Dans la décision attaquée, la Municipalité avance les trois arguments suivants pour lever les oppositions :
a) le parking existant est saturé, ce qui justifie la construction de 25 places de parc supplémentaires ;
b) la démolition du bâtiment se justifie par la cessation de toute activité commerciale, et la renonciation par le propriétaire à exercer une telle activité à l'avenir ;
c) l'immeuble présente un état général, qui ne correspond plus aux normes minimales de sécurité, ni aux critères essentiels d'esthétique dont la municipalité est garante au sens de l'article 1er RCATC.
D'une manière générale, ce qui frappe dans la décision querellée, c'est le fait qu'elle ne répond à aucun des arguments développés dans l'opposition, qu'elle se base principalement sur des énoncés subjectifs. La Municipalité se dit ainsi "convaincue" de l'existence de telle circonstance, alors que l'existence de telle autre est "supposée". On ne trouve guère d'éléments objectifs qui viennent appuyer les considérations de l'autorité communale.
En d'autres termes, l'argumentation de l'autorité communale apparaît plutôt légère. On a l'impression que la levée de l'opposition est fondée sur des suppositions qui cherchent à légitimer après coup la démolition.
Ainsi, dans la première partie du premier argument, la décision attaquée est rédigée de la sorte : "la société propriétaire justifie d'un besoin avéré de places de stationnement pour véhicules. Notre autorité est convaincue que le parking existant actuellement ne suffit plus". Cette formulation relève d'un jugement de valeur de l'autorité communale, étant donné qu'il n'est basé sur aucun moyen de droit, pas plus que sur des études qui donneraient à ce jugement de valeur un fondement objectif.
Ceci ne serait pas en soi une atteinte au principe de légalité, dans la mesure où la Municipalité s'en tenait à ce constat sans lui donner une conséquence juridique. Mais dans la mesure où ce jugement de valeur aboutit à la conclusion que la construction doit être autorisée, celle-ci applique dans ce cas la loi, exerçant en l'occurrence les pouvoirs qui lui sont confiés par l'article 17 LATC. Elle est du même coup astreinte au respect de certains principes constitutionnels.
Tout d'abord, c'est la notion même de saturation du parking qui doit être remise en cause. En effet, il existe au centre de Pully, à une cinquantaine de mètres des parcelles en cause, un parking souterrain au lieu dit "Pré-de-la-Tour", d'une capacité de 528 places, voire de 800 si l'on compte également les places privées. Or, ce parking est en permanence sous-utilisé, au point que la société anonyme qui l'exploitait était surendettée et sur le point d'être mise en faillite.
Dès 1992, la commune de Pully a pris une série de mesures financières pour soutenir la société anonyme. En particulier, ainsi qu'il ressort d'une communication au Conseil communal du 18 mars 1997, elle a abandonné les charges d'investissement extrêmement lourdes compromettant l'exploitation et assumé le paiement des intérêts sur le nouvel emprunt subordonné lié au résultat d'exploitation après amortissements (pièce 14).
- A partir de 1996, la commune de Pully détient, avec la société MIGROS-Vaud, la majorité du capital-actions (pièce 14).
- La sous-occupation du parking "Pré-de-la-Tour" a été reconnue par l'autorité communale dans plusieurs documents officiels.
Ainsi, le Rapport au Conseil communal relatif au préavis de la Municipalité n° 15/1992 et concernant la proposition d'assainissement du parking "Pré-de-la-Tour", indique qu'en 1991, le taux d'occupation ne dépassait pas les 30% (rapport, p.3, § 3 situation actuelle).
Le préavis n°3/1993 relatif à la politique de stationnement en ville de Pully, adressé par la Municipalité au Conseil communal estime l'occupation des places disponibles entre 6 heures et 19 heures dans le parking "Pré-de-la-Tour" à une moyenne de 41,5% (point 8).
Il faut certes tenir compte du fait que ces documents ont été élaborés en 1992 et 1993. Cela étant, aux dires de témoins, le taux d'occupation n'a jamais dépassé les 50% et reste aujourd'hui inférieur à cette limite.
Cette sous-occupation est un fait si notoire que la Municipalité l'a reconnu publiquement tout dernièrement dans la presse, par exemple dans le quotidien 24 Heures du 10 mars 2002 (pièce 11).
Par surabondance, on signalera que le Plan directeur communal du 19 octobre 1995, considère que, pour l'Espace Centre, dont font partie les parcelles en cause, "l'offre en places de stationnement est largement suffisante, mais ne fait pas l'objet d'un concept de gestion intégrant le parking du Pré-de-la-Tour" (Plan directeur communal, concepts sectoriels d'aménagement, Espace Centre, p. 41).
Ceci démontre que le besoin de places de parc supplémentaires n'existe pas, pas plus que le besoin lié à l'exploitation du magasin COOP. Partant, un tel besoin inexistant ne saurait fonder l'autorisation de démolir le bâtiment en cause et de construire 25 nouvelles places de stationnement extérieures.
D'autre part, la Municipalité viole le principe de proportionnalité lorsqu'elle autorise la construction de places de stationnement supplémentaires en raison des problèmes de circulation existant au sien du parking existant. Comme l'a relevé fort pertinemment Monsieur Georges TAFELMACHER dans les motifs de son opposition, les difficultés de circulation sont dues plus à l'indiscipline des automobilistes qu'à un manque réel de place (pièce 12).
Que l'on analyse l'affaire sous l'angle de l'article 4 LACT ou sous l'angle du principe de subsidiarité, autoriser la construction de nouvelles places de stationnement est critiquable dans ce contexte. En effet, ces principes commanderaient de prendre en tout premier lieu des mesures destinées à instaurer la discipline dans ledit parking. Une telle manière de faire serait plus respectueuse de la légalité, ce d'autant plus qu'il ne s'agirait pas d'une charge supplémentaire imposée à l'autorité communale, mais l'exercice de son pouvoir de police.
Par surcroît, autoriser une telle construction reviendrait également à mettre en péril les intérêts financiers de la commune, puisque le parking souterrain dont elle est l'actionnaire majoritaire verrait son taux d'occupation encore baisser avec la création de nouvelles places de parc à proximité. A l'évidence, la décision attaquée a omis de faire une balance des divers intérêts en présence, pour se ranger derrière le souhait émis par la COOP.
Dans son second argument, la décision attaquée justifie la démolition du bâtiment existant par le fait que toute activité a cessé dans le bâtiment depuis une année et que le nouveau propriétaire n'entend pas y exercer une activité commerciale. En se bornant à ce seul aspect de la situation, l'autorité communale fait montre d'une ignorance patente de la Loi vaudoise du 4 mars 1985 concernant la démolition, la transformation et la rénovation de maison d'habitation, ainsi que l'utilisation de logement à d'autres fins que d'habitation (RSV 1985, p.93 ; ci-après : LDTR).
En effet, selon l'article 1er LDTR, "est réputée maison d'habitation tout bâtiment comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l'habitation". Or, il ne fait aucun doute que le bâtiment querellé entre dans cette catégorie, puisque tant son aménagement que son affectation sont consacrées à l'habitation. Même si le bâtiment est qualifié officiellement de bâtiment à usage mixte, comme cela ressort de l'avis d'enquête et de la décision du 24 avril 2002, cela ne constitue pas un obstacle à son inclusion dans le champ d'application de la LDTR qui n'exige pas pour cela que tous les locaux d'un bâtiment servent à l'habitat.
Pour ce qui est de la légalité de l'occupation du bâtiment, il faut dire que celle-ci a été formellement tolérée par le propriétaire et que la Municipalité a fourni eau et électricité de son côté (pièce 9). L'autorité communale est ainsi responsable de la situation. Par le passé, elle a en outre nié l'existence dans la commune d'un besoin à l'occupation de bâtiments inoccupés par des personnes à revenu très modeste. De ce fait, elle n'a pas pris les mesures adéquates pour l'établissement d'un contrat de confiance entre le propriétaire et les occupants de l'immeuble.
On doit signaler à cet égard la motion développée par Madame KRAUSE le 31 octobre 1990 au Conseil Communal, qui visait à obtenir des informations utiles sur la possibilité de mettre à disposition des jeunes notamment des logements vides sur la base de contrat de confiance (préavis n°3/1991 14 février 1991). En effet, cette motion a été écartée à l'époque, avec toutefois l'engagement de la Municipalité de rester attentive et parfaitement renseignée sur la question afin d'être prêt à intervenir. Cela n'a pas été le cas en l'espèce.
La décision du 24 avril 2002 tire argument du fait qu'au stade actuel des études, rien ne permet légalement de refuser le projet incriminé. Il faut cependant souligner avec force un élément capital : la démolition du bâtiment d'habitation et la construction de nouvelles places de stationnement affectées à l'exploitation commerciale d'un centre commercial ne sont très probablement pas conformes au plan général d'affectation ; elles ne sont certainement pas conformes au plan partiel d'affection qui est en voie d'élaboration.
On rappelle que, selon les principes généraux de l'aménagement du territoire, les pouvoirs publics établissent notamment des plans directeurs et des plans d'affectation et instituent une procédure d'autorisation de construire. Ces différentes institutions dépendent les unes des autres (ATF 114 Ib 312 = JT 1990 I 471).
Dans une procédure qui doit assurer la protection juridique et la participation de la population, des plans d'affectation liant les particuliers doivent être établis dans le respect des plans directeurs, dans un souci de coordination et comte tenu de l'ensemble des intérêts en cause (ibidem, considérant 3a, p. 473 des JT).
Par la procédure d'autorisation, en revanche, les autorités s'assurent que les constructions correspondent aux principes d'aménagement exprimés dans le plan d'affectation (article 22, 2ième alinéa de la Loi fédérale sur l'aménagement du territoire (ci-après : LAT). L'article 104 LATC précise à cet égard qu'avant de délivrer le permis, la municipalité s'assure que le projet est conforme aux dispositions légales et réglementaires et aux plans d'affectation légalisés ou en voie d'élaboration.
Cette procédure d'autorisation vise à la réalisation du plan au cas par cas, mais elle ne doit pas entraîner des décisions d'aménagement indépendantes. La procédure d'autorisation ne dispose pas de l'instrument d'aménagement nécessaire, pas plus qu'elle n'est apte, en ce qui touche à la protection juridique et à la participation démocratique, à compléter ou modifier le plan d'affectation (ibidem).
En l'espèce, le bâtiment dont la démolition a été autorisée en vue de la création de places de stationnement est situé dans l'Espace Centre. Selon le Plan directeur communal, les parcelles en cause sont destinées à l'habitation, à l'hôtellerie et aux espaces commerciaux (Plan directeur communal, p. 46).
Cette optique est précisée dans le Plan général d'affectation qui range lesdites parcelles dans une Zone de forte densité (pièce 15). Ni plan partiel d'affectation ni plan localisé de quartier n'ont été adoptés concernant ces parcelles.
Le Règlement communal sur l'aménagement du territoire et les constructions (RCATC) définit la "zone de forte densité" comme une zone affectée à l'habitation et aux activités compatibles avec le logement, comprenant des immeubles de 5 niveaux au maximum, soit rez-de-chaussée, trois étages et combles (voir articles 36 et 37 RCATC).
A l'évidence, la démolition d'un bâtiment à usage mixte et la construction en lieu et place de places de stationnement à usage commercial sur un terrain affecté principalement au logement ne saurait être autorisée en l'état. Il s'agit en réalité d'un changement d'affectation qui ne saurait découler d'une simple procédure d'autorisation. En effet, en vertu des principes rappelés ci-dessus, une modification du plan général d'affection ou l'adoption d'un plan partiel d'affectation s'imposerait, afin d'offrir toute la protection juridique et la participation démocratique nécessaires.
L'article 34 RCATC autorise certes la Municipalité à accorder des dérogations aux dispositions réglementaires communales. Toutefois, cette disposition renvoie aux articles 85 et 85a LATC. Ces normes prévoient d'une part que des motifs d'intérêts publics ou des circonstances objectives justifient l'octroi d'une dérogation, et d'autre part que la demande de dérogation doit être mise à l'enquête pour elle-même.
Force est de constater que, dans sa décision du 24 avril 2002, la Municipalité n'invoque pas des motifs d'intérêt public. Au contraire, elle se réfugie derrière l'intérêt strictement privé de la société propriétaire des parcelles. En effet, la construction de nouvelles places de stationnement est liée à l'exploitation commerciale du centre commercial dont la COOP est également propriétaire. Il n'y a ici aucun intérêt public, celui-ci résidant bien plutôt dans une meilleure exploitation du parking souterrain déjâ existant et actuellement sous-utilisé.
Par ailleurs, l'avis d'enquête du 22 février 2002 n'indique nullement qu'une dérogation a été demandée pour permettre la construction de nouvelles places de stationnement à but commercial non conforme au Plan général d'affectation.
La Municipalité indique elle-même dans sa décision qu'un plan d'aménagement concernant le secteur où sont situées les parcelles en cause est à l'étude. Tant que l'établissement du plan partiel d'affectation en cours n'a pas abouti, le projet temporaire que la décision veut autoriser ne peut être légitimé. Ce projet doit donc être refusé tant qu'il n'est pas conforme à un plan d'affectation accepté par le Conseil communal, voire par la population en cas de référendum.
Cela étant, on peut déjà aujourd'hui observer que le plan d'aménagement à l'étude n'autoriserait pas la construction de nouvelles places de stationnement extérieures. En effet, selon renseignements pris auprès de la Direction de l'Urbanisme au 16 mai 2002, et conformément à la volonté municipale dans ses plans pour la circulation, il n'est nullement question d'autoriser la construction de parking en surface.
Ceci confirme donc que non seulement la construction projetée n'est pas conforme à l'actuelle affectation de la zone, mais qu'elle ne l'est pas non plus au regard du futur plan d'aménagement !
La Municipalité était donc tenue de rejeter la demande d'autorisation du projet en raison de sa non-conformité au Plan général d'affectation (pièce 15). Elle pouvait également se baser sur l'article 77 LATC, qui permet à l'autorité communale de rejeter un projet même conforme à la loi et aux plan et règlements, lorsque celui-ci compromet le développement futur d'un quartier ou lorsqu'il est contraire à un plan ou un règlement d'affectation communal envisagé, mais non encore soumis à l'enquête publique, ce qui est précisément le cas en l'espèce.
D'ailleurs, si, par fiction, on admettait que le projet était nécessaire pour combler les besoins liés à l'exploitation du centre commercial, on devrait aussi reconnaître que ce projet serait très vite dépassé en raison de l'agrandissement projeté dudit centre (pièce 11). Se poserait alors la question du respect des objectifs d'économie du sol et de protection de l'environnement ancrés à l'article 11, 1er et 2ème alinéas de la Loi fédérale sur la protection de l'environnement. A ce propos, le Tribunal fédéral a rappelé que le droit fédéral repose sur le principe de la limitation des émissions en trois étapes: dans un premier temps, limitation préventive à la source et indépendamment des nuisances ; dans un deuxième temps, limitation plus sévères des émissions nuisibles et incommodantes; dans un troisième temps, mesures complémentaires (RDAF 1999 I 628). Ce qui apparaît pertinent pour la présente affaire est le principe de la prévention, qui est également concrétisé par l'article 7 de l'Ordonnance fédérale pour la protection contre le bruit. Ce principe commande en l'espèce de prévenir l'éventualité d'une atteinte à l'environnement due à l'augmentation de l'émission de gaz d'échappement imputable à la création de nouvelles places de stationnement en surface.
Il serait donc indispensable d'analyser l'agrandissement projeté du centre commercial COOP conformément à la législation fédérale et à la jurisprudence du Tribunal fédéral. En lien avec le futur plan d'affectation, la COOP pourrait se voir contrainte de construire un parking souterrain, ce qui rendrait les places extérieures inutiles.
Il y a plus. En autorisant la démolition d'un bâtiment à usage mixte et la construction de nouvelles places de stationnement, la Municipalité fait preuve ainsi de complaisance en ignorant sa propre politique en la matière !
En effet, le préavis n°12/1992 concernant la politique de stationnement en ville de Pully, adressé par la Municipalité au Conseil communal le 7 avril 1992, mentionne au point 2, intitulé "principes et objectifs", les objectifs suivants :
- favoriser les transports en commun
- respecter l'environnement
- économiser le sol et l'énergie
- assurer une gestion rationnelle des places de parc.
Autoriser le projet incriminé irait non seulement à l'encontre de ces objectifs, mais aussi du concept sectoriel d'aménagement pour l'Espace Centre contenu dans Plan directeur communal, qui indique que l'offre en places de stationnement est largement suffisante (p. 41).
A ce sujet, il est frappant de constater que la décision attaquée ne s'intéresse pas un instant aux nuisances que la réalisation du projet pourrait occasionner aussi bien à l'environnement qu'à des tiers. Les problèmes de circulation déjà constatés dans cet aménagement très restreint du sud de la zone du centre avec la juxtaposition resserrée de multiples éléments tel le rond-point, l'arrêt du bus, les passages à piétons, et des routes à forte circulation, ont de fortes chances d'être encore plus aggravés par l'apport supplémentaire que représenterait la desserte d'un parking de 43 places (18 places existantes et 25 à construire).
S'agissant du troisième argument avancé par la Municipalité, qui renvoie au respect des normes minimales de sécurité et de salubrité, il n'est pas non plus recevable. Relevons tout d'abord que l'article 8 LDTR donne compétence au Département de l'Economie et à la commune sur le territoire de laquelle se trouve l'immeuble pour ordonner au propriétaire de faire exécuter les travaux d'entretien indispensables. Comme la Municipalité le dit elle-même, ce bâtiment se trouve en bordure d'une artère principale de Pully et proche de son centre, ce qui permet de conclure qu'elle avait connaissance de cet état de choses et qu'elle l'a toléré. Donc, sauf à admettre son incompétence à faire appliquer la loi, l'autorité communale pouvait obliger le propriétaire à remettre le bâtiment en état, voire y procéder elle-même aux frais du propriétaire, comme les prévoient les articles 88 et 92 LATC, ainsi que l'article 8 LDTR.
La Municipalité viole ainsi le principe de la bonne foi, en ce que les personnes qui ont intérêt dans le maintien du bâtiment ont pu, en toute bonne foi, croire que la situation était régulière. Ce qui crée une sorte de prescription acquisitive (ATF 121 I 124, Seefeld, Appartment SA). En plus, en l'espèce, il n'y a pas de balance entre le principe de la bonne foi et celui de la légalité, en ce que le respect du principe de la légalité commanderait de faire exécuter des travaux sur le bâtiment afin de le rendre conforme aux critères d'esthétique dont la municipalité est garante, s'il devait s'avérer, par hypothèse, que le bâtiment n'y était pas conforme.
On insiste sur le fait que, de même qu'il n'y a eu aucune tentative de la part de la Municipalité d'obtenir du propriétaire l'établissement d'un contrat de confiance, il n'y a pas eu non plus la moindre discussion s'agissant des prétendues plaintes esthétiques.
Par ailleurs, la conformité du bâtiment en cause aux normes minimales de sécurité et de salubrité ne saurait faire l'objet de simples suppositions. Si ces normes minimales n'ont pas été codifiées en détail, elles ne sauraient en aucun cas constitué un fourre-tout justifiant la destruction d'un immeuble par leur simple invocation. L'autorité communale aurait dû procéder à une évaluation déterminant le degré de non-conformité, ce degré déterminant l'ampleur des mesures prescrites par l'article 8 LDTR.
C'est dans cet esprit que les recourants ont sollicité l'avis d'un expert, débouchant sur le rapport annexé au présent mémoire (pièce 13). Il résulte d'un examen du bâtiment que ce dernier se trouve dans un bon état général, aucun danger particulier ne devant être signalé.
On conclut donc à l'annulation de la décision du 24 avril 2002 en ce qu'elle viole en tout point les diverses normes pertinentes, notamment la LAT, la LATC, la LDTR, voire la LPE.
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MESURES D'INSTRUCTION
On produit en annexe un bordereau et un onglet de 15 pièces.
En outre, on requiert l'audition des recourants, de même que celle, en qualité de témoins, des personnes suivantes :
- Monsieur Marco SONDEREGGER
Architecte EPFL
Avenue des Echelettes 5
1004 LAUSANNE
- Monsieur Paolo BARACCHINI
Ingénieur EPFL et Conseiller communal
Avenue des Alpes 18
1009 PULLY
- Monsieur Alexis BALLY
Conseiller communal et membre de la Commission Urbanisme
Chemins des Vosges 16
1009 PULLY
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REQUÊTE D'EFFET SUSPENSIF
Si, en droit cantonal, le recours a en principe un effet suspensif automatique, le droit vaudois, à l'article 45 LJPA, consacre une solution opposée, puisque le dépôt du recours ne suspend pas en principe l'exécution de la décision attaquée.
Pourtant, la pratique vaudoise reconnaît que l'effet suspensif du recours est la règle dans un certain nombre de domaines, notamment en matière de construction (BOVAY, op. cit., p. 402, et jurisprudence citée à la note 1728).
Dans la présente affaire, l'exécution immédiate de la décision du 24 avril 2002 entraînerait la démolition du bâtiment nonobstant recours, ce qui porterait une atteinte définitive aux intérêts des recourants, les empêchant de poursuivre leurs activités.
Aucune urgence ne prévaut en l'occurrence, les dangers que présenterait le bâtiment en cause n'étant nullement démontrés.
Il se justifie dès lors de suspendre les effets de la décision attaquée jusqu'à droit connu sur le recours.
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CONCLUSIONS
Les recourants ont l'honneur de conclure, avec suite de frais et dépens, àil plaise au Tribunal administratif de prononcer :
Préliminairement
I. L'effet suspensif est accordé au présent recours et la société "COOP Vaud, Chablais, Valais" n'est pas autorisée à démolir le bâtiment sis sur les parcelles n°314 et 328 jusqu'à droit connu sur le présent recours.
Principalement
II. La décision rendue le 24 avril 2002 par la Municipalité de la commune de Pully est annulée.
Lausanne, le 21 mai 2002

Christophe TAFELMACHER, av.
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