logo 24heures   du mardi 02 décembre 2020

 

 

Isabelle Chevalley, une élue dans la tourmente

 

Analyse • La Vaudoise suscite la polémique pour son mandat burkinabé. Professeur de droit à l’Université de Fribourg, Andreas Stöckli estime que l’élue risque d’écoper d’une sanction.

 

No comment • Interrogée sur cet avis juridique, Isabelle Chevalley n’a pas souhaité s’exprimer. «Je réserve mes réponses pour le Bureau du Conseil national», lâche la parlementaire Vert’libérale.

 

Un cas rare • Un tel cas n’est pas banal. Sous la Coupole, aucune exclusion n’a été prononcée. À l’image de Jacques Neyrinck, quelques élus ont en revanche écopé d’un blâme.

 

 

Isabelle Chevalley risque une sanction

 

La Vaudoise est dans le viseur pour son poste de conseillère d’un politicien burkinabé. Que dit la loi? Explications d’un professeur de droit.

 

Gabriel Sassoon

Chevalley

 

Les réjouissances ont dû être de courte durée. Dimanche, la conseillère nationale Isabelle Chevalley (Vert’lib/VD) célébrait le refus de l’initiative «multinationales responsables», dont elle était l’une des opposantes les plus féroces. Le lendemain, le Bureau du Conseil national lançait une procédure pour éclaircir les liens qu’elle entretient avec le Burkina Faso et une possible violation des règles sur l’indépendance des élus.

 

C’est Andreas Aebi (UDC/BE), le nouveau président du Bureau, qui se voit confier la tâche délicate de tirer au clair les faits dans une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre et plongé la députée dans la tourmente. Une enquête du site Heidi.news sur l’implication de la Vaudoise aux côtés du parti au pouvoir au Burkina Faso a mis le feu aux poudres. L’élue s’est aussi attiré de vives critiques des partisans de l’initiative pour avoir organisé une conférence de presse avec un ministre burkinabé venu dire tout le mal qu’il pensait du texte.

 

Des règles claires

 

Dans le rapport qu’il doit préparer, Andreas Aebi devra examiner le passeport diplomatique burkinabé d’Isabelle Chevalley et sa fonction de conseillère pour le président de l’Assemblée nationale de ce pays. Informations qu’elle a partagées dans un portrait du «Temps» en 2017, mais qu’elle n’a jamais déclarées officiellement.

 

Si Isabelle Chevalley réfute tout conflit d’intérêts et dénonce une instrumentalisation politique de la part de ses adversaires, sa proximité avec le pouvoir burkinabé pose des questions d’ordre institutionnel. Professeur de droit constitutionnel et administratif à l’Université de Fribourg, Andreas Stöckli rappelle que les règles applicables aux élus sont claires. Et selon son analyse, la Vaudoise risque une sanction disciplinaire. «Un député ne peut pas accepter et exercer un mandat officiel pour un pays étranger.»

 

Il se fonde sur l’article12 de la loi sur le parlement (LParl), qui dit que les membres des conseils n’ont pas le droit d’exercer «une fonction officielle pour un État étranger». Andreas Stöckli précise que cette interdiction s’applique même lorsque la position est bénévole - un argument mis en avant par Isabelle Chevalley, qui affirme ne toucher aucune rémunération. «Et peu importe que ce soit le gouvernement ou un membre du parlement qui confie le poste.»

 

Mandat burkinabé

 

Consultante de profession, Isabelle Chevalley exerce-t-elle une fonction «officielle» pour le Burkina Faso? C’est ce critère qui est déterminant aux yeux de la loi. La députée semble avoir déjà répondu et reconnu le caractère officiel de son rôle. Elle est notamment citée ainsi par Heidi.news: «Mon activité de conseillère officielle du président du parlement burkinabé consiste à lui donner ponctuellement des conseils sur des sujets relevant de mon expertise, en matière de gestion des déchets, d’agriculture ou d’énergies renouvelables par exemple, parfois au Burkina Faso, parfois en Suisse.»

 

«Conseiller le président d’un parlement, cela me semble officiel», commente Andreas Stöckli. Bernard Voutat, professeur de sciences politiques à l’Université de Lausanne, enchaîne: «Un indice laisse penser que cette activité de consultant s’inscrit dans une certaine «officialité», du fait qu’elle est accompagnée d’un passeport diplomatique.»

 

Andreas Stöckli juge par ailleurs que d’avoir rendu publique l’existence de la fonction dans un article ne change rien au problème. Que le mandat ait posé concrètement ou pas un conflit d’intérêts n’est pas non plus une condition à l’application de l’article12. Sa conclusion: «Isabelle Chevalley doit mettre un terme à sa fonction de conseillère officielle.»

 

Et son passeport diplomatique? Si les règles sont claires s’agissant d’un mandat officiel, celles qui encadrent ce document sont floues. L’article12 de la LParl interdit aux députés d’accepter des «titres et décorations octroyés par des autorités étrangères». Pourrait-il s’appliquer ici? Selon Andreas Stöckli, ce pourrait être le cas si le document constitue une «décoration». «Seule l’acceptation des titres et médailles pendant le mandat est interdite, mais pas le port des récompenses reçues avant la prise de fonction», précise-t-il.

 

Le 18 novembre, Isabelle Chevalley a détaillé dans «La Liberté» les circonstances d’obtention de son passeport: «L’ancien président de l’Assemblée nationale (...) voulait me décorer pour mes actions humanitaires au Burkina Faso. J’ai refusé car un parlementaire ne peut pas accepter une distinction d’un pays étranger. Il m’a alors dit qu’il voulait marquer sa reconnaissance pour mes multiples actions en m’offrant ce passeport.»

 

Le silence de l’intéressée

 

Contactée pour une réaction, Isabelle Chevalley répond laconiquement. «Je réserve mes réponses pour le Bureau.» Aucune date n’a été fixée pour une rencontre avec Andreas Aebi. Ce dernier ne donne aucune indication sur la date de livraison de son rapport.

 

Si le Bureau reconnaît que la politicienne a fauté, il a la possibilité de prendre une mesure. Selon Andreas Stöckli, c’est l’article13 al.2 de la LParl qui s’appliquerait. Il prévoit que quand un député «enfreint gravement les prescriptions en matière d’ordre ou de procédure, ou s’il viole le secret de fonction», le Bureau du conseil concerné peut lui infliger un blâme. Il peut aussi l’exclure pour «six mois au plus des commissions dont il est membre». Isabelle Chevalley fait notamment partie de la commission sur l’environnement.

 

En cas de sanction, un élu peut s’opposer à la décision. Il revient alors au conseil compétent de trancher.

 

 

Chevalley

 

 

Il n’y a eu que de rares précédents

 

Isabelle Chevalley a-t-elle manqué à ses devoirs? Le Bureau du Conseil national aura très peu de repères pour le guider dans sa réflexion. «Dans le passé, il n’y a eu que quelques cas comparables», détaille Andreas Stöckli, professeur de droit à l’Université de Fribourg.

 

En 1987, le socialiste genevois Jean Ziegler avait notamment renoncé à recevoir de la France le titre d’Officier de l’ordre des arts et des lettres.

 

S’agissant des sanctions, une mesure d’exclusion des commissions n’a, semble-t-il, jamais été prononcée. Plusieurs parlementaires ont cependant déjà écopé d’un blâme. Comme Jacques Neyrinck (PDC/VD) et d’autres élus, en 2008, pour violation du devoir de confidentialité des délibérations des commissions. Ils avaient contesté la mesure devant le Conseil national, qui avait décidé de l’annuler.

 

G.S.

 

24h - section «Suisse» - page 13