Appel aux lecteurs et lectrices
Un choix de société, un oui pour la justice
Dick Marty*
Le 29 novembre 2020, l'Initiative pour des multinationales responsables sera soumise à la votation populaire en Suisse. Dick Marty, co-président du comité d'initiative et ami de Longo maï, informe nos lecteurs et lectrices et appelle à une large mobilisation pour le oui: «L’initiative populaire en faveur de multinationales responsables»(1) poursuit un but à la fois simple et essentiel: chacun doit répondre de ses propres actions.
C’est un principe élémentaire de toute structure sociale, un préalable au vivre ensemble. Pourtant, il y a aujourd’hui des intérêts économiques qui estiment que seuls comptent les rapports de forces. La globalisation a favorisé la création de géants économiques internationaux qui n’ont plus de véritables attaches avec un pays, ils ne connaissent plus de frontières et leur puissance financière et leur capacité d’influence sont supérieures à celles de nombreux États, même importants. Leurs actionnaires sont souvent anonymes et se cachent derrière des fonds de placement spéculatifs dont le but est la maximisation du profit. Actives surtout dans le domaine des matières premières, ces multinationales opèrent fréquemment dans des pays virtuellement richissimes, en réalité très fragiles, rongés par la pauvreté, la corruption et la violence. Ce sont des États qui ne disposent pas d’un véritable pouvoir judiciaire indépendant et ne sont par conséquent pas à même de protéger leurs propres citoyens.
Face à de telles entités nationales, les multinationales sont dès lors toutes puissantes. L’initiative demande alors qu’en cas de violations des droits de l’Homme ou d’infractions graves aux normes internationalement reconnues en matière d’environnement, les personnes lésées dans ces pays puissent faire valoir leur droit à un dédommagement devant un tribunal suisse lorsque la multinationale concernée a son siège dans notre pays. «Une avalanche de plaintes va nous paralyser!» s’exclament les adversaires de l’initiative.
Certainement pas. L’action en responsabilité civile n’est pas du tout facile et, surtout, elle est coûteuse.
C’est à la partie lésée qu’il incombe d’apporter la preuve du dommage subi et que celui-ci est dû à un manque de diligence de l’entreprise. Pas facile du tout. Mais l’existence même d’une telle disposition aura une importante fonction de prévention.
L’autorégulation ne suffit pas
Le contre-projet avancé par le Conseil fédéral est en revanche d’une navrante insignifiance: il exige simplement que les entreprises indiquent dans leur rapport annuel ce qu’elles entreprennent pour être diligentes et respecter les droits fondamentaux des populations locales. Elles peuvent écrire ce qu’elles veulent, aucune forme de vérification n’est prévue. C’est la solution que l’on avait choisie naguère pour les banques en matière de blanchiment d’argent sale. Avec les résultats que l’on sait: après d’innombrables scandales qui ont terni l’image de la Suisse, on a été contraint, bien tardivement, de légiférer et de ne plus s’en remettre à la simple autorégulation. N’a-t-on vraiment rien appris? Ce qui est consternant est que plusieurs de ces grandes entreprises et banques payent des milliards de dollars d’amende aux États-Unis, à l’Union européenne dont la France (par exemple le Crédit Suisse, l’UBS ou Novartis), alors qu’elles refusent d’indemniser les populations locales qui vivent dans la pauvreté. En fait, elles ne respectent ainsi que la loi du plus fort.
La votation du 29 novembre 2020 revêt ainsi une importance fondamentale, car elle implique un choix sociétal. Mais, attention, chères lectrices et chers lecteurs de ce journal, on ne gagne pas une votation seulement parce qu’on a raison: il faut s’informer, s’engager, mobiliser son entourage, car en face nous avons des adversaires qui disposent d’énormes moyens financiers. Donc, on compte sur vous et on votera oui en pensant aussi à ce que Martin Luther King nous avait rappelé: «une injustice quelque part dans le monde est une menace pour nous tous.»
D.M.
* Ancien procureur du Tessin et ancien conseiller aux États
- tiré de la revue «Nouvelles de Longo maï 131-1» automne 2020 - prolongomaif.ch/publications
1. Plus d’informations: www.konzern-initiative.ch/
Suggestion de livre: Dick Marty: «Une certaine idée de la justice», Éditions Favre, Lausanne, 2018, 320 pages, 29 CHF, 23 Euro