Le Courrier du jeudi 1er avril 2021

  

AGORA

 

«En tant que paysan, je me questionne»

 

Votations • Le 13 juin prochain, les Suisses s’exprimeront sur deux initiatives antipesticides. Viticulteur genevois, Yves Batardon se prononce en faveur de l’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse».

YVES BATARDON *

  

petits paysans

  

Je suis paysan-vigneron. Je me permets d’exprimer mon ressenti sur les futures votations concernant l’agriculture. Nous, paysans et paysannes, nous avons à choisir entre la peur de perdre les aides liées à la technocratique politique agricole PA22 et le désir de participer à l’agriculture biologique. Personnellement je vais voter «oui» à l’initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse (et «non» à l’initiative Eau propre (1), qui manque d’objectivité en stigmatisant l’agriculture).

  

Comme il est fréquent depuis plus de vingt ans, ceci avant chaque votation sur des initiatives qui se veulent progressistes, les détenteur·trices du pouvoir économique véhiculent avec l’aide de leurs assujetti·es une communication basée sur la peur et le déni. Le déni de reconnaître la part de responsabilité de l’agriculture face à l’état actuel de la nature. Et la peur qui permet de prédire le pire si l’on change de cap. Cette posture de victime enlève aux paysan·nes toute velléité d’imaginer un autre possible que celui prôné par l’Office fédéral de l’agriculture. À l’occasion des votations du 13 juin, ne serait-il pas temps d’accepter notre part de responsabilité et d’abandonner nos peurs du changement? Allons-nous continuer de dire «non»? Non, comme pour les initiatives pour la souveraineté alimentaire. Non à des aliments équitables. Non aux multinationales responsables et encore non au référendum sur l’huile de palme. Allons-nous, sans autre questionnement, réserver le même refus à l’initiative pour une Suisse sans pesticides de synthèse ?

  

Le «oui» ou le «non» glissé dans l’urne ne doit pas découler de slogans, il est de notre responsabilité de citoyen·nes d’écouter l’autre et de s’informer – non pas de la «vérité», mais d’éléments factuels, scientifiques, sociaux, environnementaux et économiques crédibles – afin de construire sa pensée. Pour répondre aux enjeux du futur, nous avons besoin, avant les votations du 13 juin, d’un engagement constructif de nos chambres d’agriculture. Elles doivent dépasser la posture de porte-voix de l’Union suisse des paysans. Elles doivent organiser des tables rondes entre paysan·nes, avec des médiateurs ou médiatrices neutres pour pacifier les échanges. Ce serait une opportunité pour partager nos expériences. Pour qu’enfin la base paysanne puisse exprimer son ressenti. Il est essentiel de donner la parole aux jeunes, car ils et elles seront les forces vives de nos exploitations en 2030.

  

Actuellement, beaucoup d’entre nous s’épuisent par loyauté à la terre. Le pouvoir politique en profite, il impose aux paysans et aux paysannes la compétitivité en exigeant une production toujours plus durable. Cet antagonisme est intenable dans un système de plus en plus dérégulé: le prix de nos productions – bio ou non bio – a pour seule valeur celle que la Migros ou la Coop sont prêtes à donner. Les transformateurs et la grande distribution sont les maîtres du jeu. Unique échappatoire, la vente directe nous permet de conserver quelque espoir. Pourtant, chaque jour, deux fermes disparaissent. La politique agricole technocratique prônée par la Confédération n’est tout simplement pas compatible avec une agriculture familiale en lien avec la nature.

 

Il est lamentable que la Confédération n’ait pas jugé bon de proposer un contreprojet à l’initiative; cela démontre son incapacité à définir l’agriculture de demain. Si, le 13 juin, l’initiative pour une Suisse sans pesticide de synthèse est acceptée par le peuple, nos organisations professionnelles devront être attentives à l’élaboration de la loi. Car le futur de l’agriculture suisse produite sans pesticides de synthèse sera difficile à concrétiser, mais il donnera une opportunité pour reconstruire le lien et la confiance entre nos campagnes et la population de notre pays. Dix ans pour parvenir progressivement à une agriculture équitable et sans pesticides de synthèse représente un défi pour nous, paysans et paysannes, mais aussi à notre société. Ceci pour qu’en 2030, le pays compte 1000 fermes de plus qu’aujourd’hui. Une Suisse ou les paysan·nes formeront des apprenti·es avec fierté, qui deviendront à leur tour les paysans et paysannes de demain. I

  

* Paysan-vigneron, Soral (GE). Membre d’Uniterre et du Mouvement pour une agriculture paysanne et citoyenne (MAPC).Information: pesticides-en-question.ch

1 L’initiative en question prévoit de priver d’aides fédérales les exploitations faisant usage de pesticides, d’antibiotiques en élevages à titre prophylactique, ou encore celles qui ne réussissent pas à nourrir leurs animaux avec ce qu’elles produisent.

  


  

Le Courrier du jeudi 15 avril 2021

  

AGORA

 

L’agriculture toujours en question

 

Votations • Paul Sautebin évoque les enjeux de l’agriculture suisse et s’exprime sur les deux initiatives «anti-pesticides» soumises aux urnes le 13 juin prochain.

  

PAUL SAUTEBIN *

  

Du fait de la mondialisation, l’agriculture suisse se trouve mêlée aux grands défis de notre époque: questions climatiques, environnementales, migratoires, sociales, sanitaires et militaires. Ces défis viennent fonder les préoccupations majeures présentes et à venir auxquelles l’agriculture ne peut se soustraire. Sujet des prochaines votations fédérales, l’agriculture du pays ne repose pas simplement sur une branche qui serait menacée d’être sciée par deux initiatives populaires. En réalité, c’est bien le corps de l’arbre dans son ensemble qui est malade de l’agro-industrialisation financiarisée et mondialisée.

  

La logique agricole actuelle est de tous les paradoxes: en quête perpétuelle d’une rationalité motivée par la compétitivité, elle a fait baisser les prix et, par là, la part de l’alimentation dans le coût de la vie. Elle consomme 10 calories pour en produire une. Elle absorbe une masse d’énergie fossile alors que se produit dans les champs la photosynthèse, source de toute énergie. Elle méprise et chasse du terrain les femmes et les hommes munis d’un savoir ancestral pour les remplacer par une technobureaucratie parasitaire hors-sol. Elle affaiblit l’immunité, la fertilité et la résistance des sols, qu’elle croit compenser par des artifices chimiques et mécaniques.

  

Les coûts collatéraux deviennent exorbitants en termes de pollution, de santé publique, de perte de la biodiversité, de transport, de réchauffement climatique, de chômage, de bio-invasion, d’exode rural global et local. Encastrée dans l’import-export, la Suisse doit couvrir 50% de ses besoins alimentaires par les importations et elle exporte l’équivalent de 20% de sa surface agricole en produits laitiers. Elle importe plus de 100'000 tonnes de pâtons et viennoiseries précuites par année et déclasse presque autant de céréales panifiables en fourrage. Nous importons près d’un million de tonnes de fourrage alors que globalement nos surfaces agricoles sont saturées de fumure.

  

Effectivement notre agriculture change! Mais en quoi? Pour le bien de qui et de quoi? L’indicateur le plus révélateur de ce changement est donné par le corps du métier lui-même: en Suisse, 1000 fermes disparaissent chaque année. Le travail est payé au prix du marché local et mondialisé. Les charges de travail et administratives ne cessent d’augmenter. Une vague de dépression embrume les campagnes et la relève professionnelle est difficile à assurer. Les politiques agricoles d’étranglement provoquent amertume et ressentiment. Le syndicalisme paysan a été cassé par le néolibéralisme du chacun contre tous les autres.

  

La crise dans laquelle s’insère l’agro-alimentaire rend tous les jours un peu plus caduques la paix, la justice sociale, la santé publique, la liberté et la démocratie. «Du chaos naît la créativité» dit le dicton, celle de prendre soin de nous, de la planète, des femmes et des hommes, de la biodiversité, de la fraternité, de la paix, du présent et du futur en général. Pour ce faire, il est temps de remettre en cause la base néolibérale de notre politique agricole. La gauche, les Verts et les associations de l’environnement ne peuvent construire du durable sur ce fondement néolibéral mondialisé. L’agriculture doit s’installer dans la souveraineté démocratique et bénéficier d’une régulation des marchés afin de pouvoir décider de son avenir. Par ailleurs, le monde agricole doit pouvoir s’appuyer sur cette majorité de citoyennes et citoyens qu’il craint et combat iniquement aujourd’hui, de peur de voir passer les initiatives anti-pesticides, et doit leur proposer un projet qui va à la rencontre des attentes sociétales et qui redonne sens, grandeur et revenus au paysannat et au pays.

  

Voter oui à l’initiative «pour une suisse libre de pesticides de synthèse» va de soit. L’initiative «pour une eau potable propre et une alimentation saine» mérite l’abstention car elle fragmente l’agriculture en deux, laissant libre cours à une agriculture intensive qui souillerait toujours l’eau.

  

* Paysan à la Ferrière (BE) et ancien président d’Uniterre Jura-Jura bernois.

  


  

Liens

  

Initiative sur les pesticides : ce que disent le Conseil fédéral et le Parlement

www.blw.admin.ch/blw/fr/home/politik/agrarpolitik

  

Association «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse»
Les pesticides sont partout, nous pouvons y remédier.

VieOuPoison.ch

  

La nocivité des pesticides : au cœur de la campagne des initiants

RTS.ch

  

Association des petits paysans : Initiatives concernant l’agriculture

APP.ch

  

Le Temps : Le parlement rejette deux initiatives anti-pesticides

LeTemps.ch

  

  

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