LE COURRIER        LA LIBERTÉ        |        LUNDI 31 MAI 2021                SUISSE

  

RISQUE SANITAIRE DES PESTICIDES

  

Une bombe à retardement ?

  

Alors que certains sols dépassent les limites admises, les partisans des initiatives eaux propres et pour une Suisse libre de pesticides de synthèse alertent sur les impacts sanitaires à long terme des produits phytosanitaires. Pour les opposants, tout est question de dosage. À l’approche des votations, initiants et opposants se contredisent sur les dangers pour la santé.

  

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Les sols et les pesticides en question

  

PHILIPPE BOEGLIN

  

Environnement • D’ordinaire, ils sont invisibles. Mais par la grâce des deux initiatives agricoles, soumises en votation populaire le 13 juin, les sous-sols se trouvent soudain en pleine lumière. Ils se trouvent directement concernés par ces deux textes. L’un veut interdire les pesticides pour protéger la santé publique et l’environnement, l’autre préserver l’eau potable en privant de subventions les paysans qui recourent aux produits phytosanitaires et aux antibiotiques. Comment se portent nos sols? Y a-t-il danger pour la santé ?

Datant de 2019, la dernière analyse de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) fournit une vue d’ensemble des eaux souterraines et des terres ouvertes (voir infographies). Elle différencie deux types de résidus: les substances actives des produits phytosanitaires d’une part, leurs métabolites d’autre part. Les métabolites (ou dégradation des substances actives) constituent une modification de la préparation originale, comme un château en "Lego" auquel on a ôté ou rajouté des pièces.D’après la législation, la concentration maximale se situe à 0,1 microgramme par litre. Le pesticide ou ses dérivés ne devraient idéalement pas la dépasser. Ce seuil est néanmoins franchi par endroits. Pour les substances actives, sur l’ensemble des stations de mesure des eaux souterraines, 2% affichent un taux supérieur. Pour les métabolites, il s’agit de près de 25%. Dans les terres ouvertes, les proportions se révèlent dans l’ensemble plus élevées sur le Plateau.

 

Marge de sécurité

 

Un résultat au-dessus de la barre ne signifie toutefois pas automatiquement un risque pour la santé. Mais il appelle une analyse supplémentaire de la zone concernée, explique l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV). «Cette valeur limite (de 0,1 microgramme par litre, ndlr)comprend déjà une marge de sécurité en termes de protection préventive de la santé. Si elle est dépassée, l’évaluation se fait au cas par cas, en fonction de la substance active ou du métabolite concernés, pour déterminer s’il existe un danger pour la santé.» De ce point de vue, «cela ne fait aucune différence que ce soit une substance active ou un métabolite. Ce sont les risques toxicologiques spécifiques à chaque substance qui sont déterminants», ajoute Sandra Schindler, porte-parole de l’OSAV.

Les opposants aux initiatives populaires nient tout péril sanitaire aigu. À leur tête, l’Union suisse des paysans renvoie à la Fondation rurale inter-jurassienne. Son directeur Olivier Girardin relativise. «La teneur de 0,1 microgramme par litre est extrêmement basse. Les seuils ont été abaissés au fil des ans, il est donc logique que l’on détecte plus de dépassements. Mais la consommation d’eau ne présente aucun danger. Si c’était le cas, on n’en consommerait pas», assène-t-il, complétant que «certains résidus, par exemple d’atrazine, découlent de produits qui ne sont plus homologués et utilisés depuis de nombreuses années. Ils restent longtemps dans les sols».

 

Toxicités différentes

 

Le camp d’en face considère les risques comme bien réels. «Je doute que le seuil de 0,1 microgramme par litre d’eau souterraine ait été défini sur la base d’études éco-toxicologiques car chaque produit a une toxicité différente, rétorque le biologiste et professeur à l’Université de Neuchâtel, Edward Mitchell *, initiant du texte «antipesticides». Ce seuil n’est pas pertinent pour tous les pesticides, il sera sans doute plus bas pour beaucoup d’entre eux. Par ailleurs, les pesticides de synthèse présentent des dangers même sous ce seuil. Ce sont en majorité des perturbateurs endocriniens, des molécules qui agissent sur la santé par leur simple présence. Dans ce cas de figure, les seuils de toxicité ne sont pas pertinents.»Les atteintes à la santé ne seraient pas immédiates. Va-t-on tomber malade si on boit un verre d’eau? «Non, répond Edward Mitchell. Mais les effets se déploient à plus long terme et parfois sur la génération suivante. Les pesticides engendrent des maladies, comme certains cancers, perturbent le développement neurologique (baisse de QI par exemple), ou font baisser la fertilité.»

Les détracteurs des initiatives s’inquiètent moins. Olivier Girardin souligne «La dangerosité dépend beaucoup d’une molécule à l’autre. Sur le fond, tout est poison, mais c’est une question de dosage. L’utilisation doit se faire de manière raisonnée et seulement en cas de nécessité.» «Et puis, la tendance actuelle vise à améliorer les pratiques agricoles pour réduire les pesticides. Le parlement a mis au point un contre-projet devant diminuer les risques de 50% d’ici à 2027. Nous ne minimisons pas la problématique.» I

  

  

* L’avis de Edward Mitchell de l'Université de Neuchâtel : «Le débat sur les pesticides est empoisonné par des mensonges»

  

À lire entre-les-lignes  - où on peut constater que finalement, il peut y avoir un accord sur les buts des intitiatives... même en y éant opposée...!!!

  

  

  

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Le Courrier du mercredi 02 juin 2021   -   Lettre de Lecteur

  

UNE BAISSE DE RENDEMENT SURESTIMÉE

  

Votations • Simon Barraud donne ses arguments en faveur d’une des initiatives soumises au vote le 13 juin.

  

Les opposants à l’initiative pour «une Suisse libre de pesticides de synthèse» affirment qu’il faudra plus d’importations. Faisons comme si cette hypothèse, par nature invérifiable, était fondée. On pourrait estimer une éventuelle baisse de rendement de 15 à 20% – calculée sur le bio –, et non pas 40% comme parfois annoncé.

Attention, le texte ne demande pas de passer au bio (avec son cahier des charges). Seuls les pesticides de synthèse sont visés et les engrais chimiques seront notamment toujours autorisés.

  

Les arguments en faveur de l'initiative sont les suivants :

  - L’éventuelle baisse de rendement sera largement compensée par la réduction du gaspillage alimentaire à laquelle la Suisse s’est engagée (moins 50% d’ici 2030). En effet, nous jetons chaque année un tiers de notre nourriture à la poubelle.

  - L’innovation sera «boostée» durant les dix ans de transition. Aujourd’hui, seule 10% de la recherche agronomique concerne les solutions naturelles. En cas de oui, la part sera alors de 100% !

  - On peut s’assurer de bons rendements en repensant les variétés utilisées, le mix de cultures endémiques et le recours au désherbement mécanique.

  - En Suisse, la moitié des surfaces cultivables servent à produire des aliments pour les animaux. Il est temps de privilégier les cultures qui nourrissent le peuple !

  - Avec le système actuel, nos rendements s’effondreront à terme. Le déclin des pollinisateurs, causé entre autres par les pesticides de synthèse, est un vrai problème, car 84% des cultures en dépendent! Les organismes du sol, eux aussi touchés, sont nécessaires pour la fertilité et pour capter le CO2.

  

L’initiative a été rédigée avec l’aide de nombreux agriculteurs qui expliquent que le changement, même s’il fait peur, est réalisable et nécessaire, y compris pour la branche. Le statu quo profite à certains: ne vivons plus dans leur monde et votons oui !

  

SIMON BARRAUD, Crissier (VD)

  

  


  

  

Le Courrier du mercredi 02 juin 2021   -   SUISSE

  

Des pesticides dans les cimetières

  

Le Conseil national ne veut pas interdire aux communes de recourir à des produits de synthèse

  

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PHILIPPE CASTELLA

  

Environnement • Les pesticides occupent le devant de la scène politique, avec une campagne enflammée sur deux initiatives soumises au peuple dans dix jours. Hasard du calendrier, ils animent aussi la vie parlementaire avec trois votes qui leur étaient consacrés hier au National. Celui-ci a refusé d’interdire aux collectivités publiques de recourir aux pesticides de synthèse, ainsi que de bannir le glyphosate.

Les débats d’hier ont montré que cette question des pesticides déborde le champ agricole. Ils sont aussi largement utilisés par les collectivités publiques pour l’entretien des parcs, des jardins ou des cimetières, ainsi que par les particuliers qui luttent contre les mauvaises herbes dans leur rocaille en recourant au fameux Roundup, un produit qui contient du glyphosate.

  

L’exemple de la France

  

Une motion émanant des Verts voulait interdire l’usage de pesticides de synthèse par les collectivités publiques. «Ici, il n’y a pas d’enjeu alimentaire qui puisse justifier de faire perdurer un mode d’entretien aussi intensif des rues, parcs et cimetières de nos communes», a avancé Valentine Python pour se démarquer du débat sur les deux initiatives populaires. Aux yeux de la verte vaudoise, «nous avons là une opportunité très intéressante de diminuer les risques pour la santé et pour la biodiversité».

L’élue constate que «les communes françaises s’accommodent très bien de l’obligation qui leur a été faite de renoncer à l’usage de ces substances depuis 2017». Elle souligne aussi que de nombreuses communes suisses ont suivi le mouvement de manière volontaire. Et de mettre en avant l’exemple du cimetière de Bois-de-Vaux, à Lausanne, qui a fait récemment l’objet d’un reportage dans une émission de la télévision romande (RTS): «Ce lieu emblématique est devenu un refuge pour de nombreuses espèces.» Valentine Python a pointé du doigt les dangers de ces «molécules totalement artificielles» pour la santé: effets perturbant le système endocrinien, effets neurotoxiques et cancérigènes.

De son côté, le ministre de l’Agriculture Guy Parmelin estime qu’il «n’appartient pas à la Confédération d’imposer une telle décision aux communes». Celle-ci relève de leur compétence, ce d’autant qu’elle «entraîne souvent des coûts supplémentaires». Des arguments qui ont «fait moucheron», puisque le plénum a refusé la motion par 102 voix contre 89.

Il en a fait de même avec deux initiatives cantonales. La première émanant du Jura voulait bannir au plus vite le glyphosate. Elle a été rejetée par 100 voix à 81. Un peu moins restrictive, celle venant de Genève visait une sortie programmée du glyphosate et a été repoussée par 101 voix à 89.

Sophie Michaud Gigon (verts, VD) a soutenu ces initiatives en rappelant qu’une interdiction du glyphosate restait dans l’air au niveau européen et qu’il serait bien de s’y préparer en développant d’autres produits pour éviter de se retrouver dans la même situation qu’avec la betterave sucrière, où l’interdiction des néonicotinoïdes a conduit à d’importantes pertes de production liées au développement de la jaunisse l’an dernier, surtout en Romandie.

  

Un recul de 65% en dix ans

  

Jacques Nicolet (udc, VD) a interpellé la secrétaire générale de la FRC en se demandant ce qu’une telle interdiction apporterait dans l’assiette des consommateurs, étant donné qu’en Suisse, à l’inverse de ce qui se fait aux États-Unis notamment, le glyphosate ne peut pas être utilisé sur des plantes qui sont récoltées et que le recours à cet herbicide a reculé des deux tiers en dix ans.

Autre élu paysan, Marcel Dettling (plr, SZ) a surtout mis en avant une analyse de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire (OSAV) qui relativise des études scientifiques préalables sur les dangers du glyphosate pour la santé. Les valeurs limites ne seraient atteintes que si un individu consommait 72 kilos de pâtes par jour ou 1600 litres de vin, ce qui entraînerait bien d’autres soucis de santé, a lâché le libéral-radical, le sourire en coin. I

  

  

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