24heures du vendredi 07 Juin 2019

 

Réflexions

Bilderberg et les médias: la transparence impossible

 

Bilderberg

 

La rédaction, Patrick Monay, Chef de la rubrique Suisse

 

Quelques jours après la clôture de la rencontre de Bilderberg, un lecteur vaudois nous fait part de son irritation. Les médias romands ont, selon lui, démontré en la circonstance «un manque total de sens critique». Nous nous serions contentés de «passer la pommade» aux grands de ce monde réunis à Montreux, alors que la presse anglo-saxonne faisait bien plus sérieusement son travail.

Ce lecteur déçu cite en exemple le compte rendu de nos estimés confrères du «Guardian». Qu’en est-il? Le reporter dépêché sur place par le quotidien anglais s’est posté, appareil de photo en main, près de l’embarcadère oû défilaient les participants, attendus pour une brève croisière sur le Léman. Il décrit «le sourire béat» du gendre de Donald Trump, Jared Kushner, entouré de gardes du corps. «Il pensait peut-être la meilleure manière de vendre une guerre avec l’Iran», hasarde le journaliste britannique.

Plus loin, il observe le roi des Pays-Bas en discussion avec un ancien stratège de la Maison-Blanche, aujourd’hui directeur du constructeur d’armement Lockheed Martin. Il repère le PDG de Google qui interrompt une conversation avec le patron de l’assureur AXA «pour prendre une photo du lac». Ou encore le rédacteur en chef de l’agence de presse économique Bloomberg News en train de boire un verre avec la patronne de l’Unesco. L’article se termine au soleil couchant, avec le bateau qui vogue en direction du château de Chillon. «Encore un verre de champagne?» ironise l’auteur en guise de conclusion.

La vérité, au-delà de l’humour délicatement British, c’est qu’on n’apprend strictement rien sur ce conclave des puissants. Comme tous les autres médias, le «Guardian» a été tenu à distance des échanges entre les décideurs de Facebook, Microsoft, LinkedIn ou du groupe bancaire Goldman Sachs. Personne n’a pu interviewer le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, ou le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, dans les salons feutrés du Montreux Palace. Même notre Ueli Maurer national était parfaitement inaccessible.

Dans un pays qui cultive la démocratie de proximité, cette discrétion absolue peut choquer. Et faire perdurer les théories du complot les plus folles. Que n’a-t-on pas dit, par le passé, de la conférence de Bilderberg, ce club de milliardaires qui formerait un gouvernement supranational opaque, voire occulte ?

Loin de se montrer complaisant, «24 heures» a donné la parole aux quelques courageux protestataires rassemblés devant le palace de la Riviera. Surtout, nous avons soulevé la question cruciale de la transparence en révélant l’organisation de l’édition 2019 à Montreux. L’industriel André Kudelski, membre du comité de Bilderberg, y a répondu sans détour: la confidentialité est une condition nécessaire à la tenue d’une telle conférence, «au même titre que l’individu a droit à une sphère privée pour vivre». Libre à chacun de s’en offusquer ou de l’admettre.

 

 

«L’être humain se fragilise en faisant aveuglément confiance aux "leaders auto-proclamé" et cela suppose surtout la question de ce que c’est la démocratie.»

 

N.B. Opinion personnelle de G.P.T.

Sauf que cette conférence prétend répondre aux problèmes du monde nous concernant tous et que donc, par extension, ne peut prétendre à la confidentialité. Si un individu prétendait vouloir résoudre le problème des autres, il ne peut prétendre à un droit de la sphère privée ni même à la confidentialité...

 

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Lettre de lecteur :

Lettre de Lectrice 24heures

 

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Commentaire de GPT sur "fb" :

Quand même curieux ce pays si épris de "liberté individuelle" qui se plie aux exigences de ces riches manipulateurs complotistes qui se réunissent... en secret et en toute liberté...

Et qui donne une vitrine à ces personnages laissant entendre que ce sont eux qui vont "résoudre" tous nos problèmes... alors que ce sont eux qui les ont créé de toutes pièces...

Il ne reste pas moins que des gens auto-désignés comme faisant partie d’une "élite", se réunissent pour converser sur notre sort dans des réunions dites "secrètes" alors que la crise ne peut être résolue que par des solutions sorties du corps social dans son ensemble.

Et ceci est d’autant plus vrai que ces problèmes ont été amenés par l’adhésion pleine et totale de ces gens à la doxa économique actuelle, impérialiste, brutale et dominatrice...

Il faudra quand même que les citoyens prennent conscience de cet état, se lèvent comme un seul homme et comme une seule femme contre ce genre de "convention" pour y substituer un accord populaire dans lequel tout et chacun puisse y amener sa part de solution...

Bref, méfions-nous de ces réunions "secrètes" qui confirment le rôle de "sauveur" que se donnent ses protagonistes autoproclamés...

Le seul espoir est celui d’une prise de conscience du corps social et d’une participation pleine et entière de tous et toutes dans l’avènement d’une société réellement sociale, ouverte, participative, coopératrice, autogérée... soit l’essence même d’un anarchisme réellement populaire....

 

Allez, réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard !

 

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Le Media 3 juin 2019

Bilderberg, l’entre-soi des puissants au-delà des fantasmes

 

Bilderberg

 

Les quelques lettres suffisent à remplir des pages et des pages de théories imaginatives et de sites internet parfois obscurs. Groupe secret composé d’illuminatis ou de francs-maçons, réunion occulte d’atlantistes, expression ultime du néolibéralisme mondialisé ? Les réunions annuelles et opaques du groupe Bilderberg réunissent les personnalités politiques, économiques et médiatiques les plus influentes d’Europe et d’Amérique du Nord et cristallisent tous les fantasmes. Décryptage.

Du ministre français des Finances, Bruno Le Maire, au conseiller de Donald Trump, Jared Kushner, en passant par le directeur général d’Axa, Thomas Buberl (un habitué du Bilderberg) ou encore la cheffe du parti espagnol Ciudadanos, Ines Arrimadas : du 30 mai au 2 juin, ils étaient 121 à se réunir dans la ville suisse de Montreux pour la réunion annuelle du groupe Bilderberg. Avenir de l’Europe ou du capitalisme, écologie, intelligence artificielle, réseaux sociaux : les thèmes proposés cette année à la discussion sont dans l’air du temps et sont présentés par des experts invités, avant que les intervenants ne prennent la parole pour exprimer leurs opinions.

Officiellement, aucune politique ou aucun accord n’est arrêté pendant la rencontre, durant laquelle les invités sont placés par ordre alphabétique. Bruno Le Maire, par exemple, est assis aux côtés de Jared Kushner et de la ministre allemande de la Défense, Ursula Von der Leyen. Chaque année, un représentant des médias français est convié à la réunion. Pour cette édition, il s’agit de Dominique Nora, la directrice de la rédaction de l’Obs. «Il est passionnant, pour tout journaliste, de comprendre comment les dirigeants américains et européens du business et de la politique appréhendent les grands événements qui font l’actualité. D’autant qu’il s’agit d’échanges de points de vue "off"... donc sans langue de bois», explique celle qui considère que la confidentialité des débats «alimente les fantasmes, bien qu’aucune décision n’y est prise». Un secret qui alimente les obsessions.

La liste des invités et les thèmes débattus n’ont pas toujours été rendus publics. Le secret entourant ces réunions remonte à la guerre froide, et plus précisément à l’année 1954, date de la première rencontre du groupe, qui se réunit à l’hôtel Bilderberg d’Oosterbeek, aux Pays-Bas, à l’initiative du Prince Bernhard et du diplomate polonais Joseph Retinger. L’affrontement larvé entre les États-Unis et l’URSS bat son plein : les initiateurs entendent donc rassembler ceux qui défendent les intérêts américains pour lutter contre l’influence soviétique en Europe.

«C’est la frousse du communisme qui explique à la fois la création de ces réunions, mais aussi le secret qui les entourait. Il y avait d’autres opérations, à l’époque, les Américains finançant tout ce qu’ils pouvaient pour éviter que l’Europe ne tombe dans les mains des Soviétiques. C’est vraiment cela qui explique le secret de l’époque», raconte le journaliste Bruno Fay, auteur en 2011 du livre «Complocratie», dont plusieurs passages sont consacrés au groupe Bilderberg.

Le secret a perduré longtemps après la fin de la guerre froide, alimentant ainsi les théories les plus imaginatives. Dernier exemple en date : en mars 2019, Philippe de Villiers, invité sur le plateau de Thierry Ardisson pour l’émission Salut les terriens, définit en ces termes le présumé agenda caché du Bilderberg : «C’est un groupe qui a pour ordre de travailler dans le secret à la construction d’un groupe transatlantique», avance-t-il, avant d’expliquer qu’il sert les États-Unis en faisant en sorte que l’Europe devienne un «néo-marché américain».

Autre exemple, la présence d’Édouard Philippe au Bilderberg de 2016, un an avant sa nomination au poste de Premier ministre, tout comme celle d’Emmanuel Macron, en 2014, deux ans avant son élection, ont semé le doute chez de nombreuses personnes. Plusieurs théories donnent ainsi au Bilderberg le pouvoir de décider des personnes à placer aux plus hauts sommets des États.

«Par rapport aux fantasmes, généralement les gens disent «lui, comme par hasard, un an après son passage au Bilderberg, il a été nommé». Là, on prend le problème à l’envers. Le Bilderberg essaie d’identifier les futurs leaders. C’est comme ça qu’on a des gens qui sont repérés. Ils sont invités parce qu’ils ont le vent en poupe», décrypte Bruno Fay, qui en veut pour preuve la présence cette année d’Inès Arrimadas, figure de la droite libérale et nationaliste de Ciudadanos. «Quand on connaît l’Espagne, on sait qu’elle est promise à un bel avenir en politique», poursuit le journaliste.

Pour Bruno Fay, ceux qui voient dans le Bilderberg le sommet de la pyramide où tout se décide se trompent de cible. «C’est plus la société mondialisée qui doit être critiquée. Là, ce n’est pas un complot : quand on reproche aux hommes d’État d’être proches des banques et des grandes entreprises, ils le sont, c’est le mode de fonctionnement de la société libérale actuelle», nuance-t-il.

 

Loge secrète, lobby, entre-soi : de quoi le Bilderberg est-il le nom ?

Que reste-t-il alors du Bilderberg, et sous quel angle l’analyser ?

 

Là encore, tout le monde ne s’entend pas sur une définition claire du rôle du Bilderberg et de l’intérêt d’y participer. Pour Guillaume Courty, professeur de science politique et spécialiste des lobbys, le Bilderberg n’est pas l’élément fondateur de la collusion entre public et privé, mais bien une étape dans un processus de plus long terme. «Ça s’inscrit dans une séquence où les élites politiques et économiques se retrouvent. Ce sont des moments visiblement assez importants pour ces élites, mais en même temps, il faut les comprendre dans la continuité des relations, plutôt que comme un moment où se jouent énormément de choses», explique-t-il. Bruno Fay partage le sentiment. En 2010, il interviewe Étienne Davignon, homme d’affaires belge et président du comité de direction du Bilderberg. Il considère avoir pu discuter librement de nombreux sujets. «Je n’ai pas eu l’impression d’être entré dans un monde secret, c’était comme un organisateur de Davos. En revanche, j’ai eu le sentiment d’un genre de super-lobby, une sorte de fédération des lobbys», relate-t-il.

Pour le professeur Guillaume Courty, impossible de savoir précisément si ces réunions sont un moment privilégié pour les lobbyistes... «Si l’on veut vraiment savoir s’ils font du lobbying là-bas, il faudrait déjà voir s’il y a des lobbyistes et s’il y a des enjeux, des dossiers sur lesquels on leur a donné une mission particulière, qui est de convaincre ou de changer la donne», s’interroge-t-il. Pour le vice-président de l’association anti-corruption Anticor, Éric Alt, si ces réunions ne s’apparentent pas à du lobbying traditionnel, elles peuvent toutefois avoir un effet néfaste sur les démocraties. «C’est une figure particulière d’influence, l’entre-soi. Ça pose des problèmes dans l’architecture du pouvoir, dans la conception de la démocratie», nuance-t-il. Mais le Bilderberg en n’est qu’un élément parmi beaucoup d’autres.

 

«Cette connivence entre public et privé est beaucoup plus forte aujourd’hui qu’il y a vingt ans»

 

En 2012, Henri de Castries, PDG de l’assurance AXA, est nommé président du comité de direction du club Bilderberg. S’en suivent plusieurs changements majeurs dans l’organisation et la publicisation des réunions, puisque les noms des invités, les thèmes débattus et le lieu de la rencontre sont désormais connus. Le Bilderberg se dote d’un site internet et d’un service de presse. En revanche, les propos des invités restent toujours scellés par la règle du Chatham House, un code d’éthique selon lequel les participants peuvent dévoiler le contenu des discussions mais ne doivent pas révéler l’identité des personnes qui tiennent les propos. Pour Dominique Nora de l’Obs, voir ces réunions sous le spectre du secret n’a plus lieu d’être, puisque les participants et les thèmes des conférences sont désormais connus à l’avance.

De fait, cette récente ouverture au public a été envisagée comme une réponse aux différentes théories du complot qu’alimente inévitablement tout ce secret. Quand Bruno Fay rencontre Davignon pour son livre, en 2010, le Belge explique alors que les membres du Bilderberg cherchent un moyen de répondre aux théories conspirationnistes. «Un des moyens, c’est de rendre publiques certaines choses, comme la liste des participants ou le lieu. C’est très récent», commente Fay.

Mais pour le journaliste, cette récente transparence ne suffit pas : le Bilderberg continue de poser plusieurs problèmes démocratiques. «Le mélange des genres, cette connivence entre public et privé, elle est beaucoup plus forte aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Si l’on veut vraiment quelque chose d’utile, sur l’environnement ou les changements climatiques par exemple, je préférerais avoir des ONG, des experts comme invités. Là, ça pose un problème : cette connivence-là, entre politique et groupes industriels, reflète le fonctionnement du monde. Mais ce n’est évidemment pas un secret», conclut-il.

 

«Ce n’est pas un complot : quand on reproche aux hommes d’État d’être proches des banques et des grandes entreprises, ils le sont, c’est le mode de fonctionnement de la société libérale actuelle»

 

 

Bilderberg

Photo de Une : manifestation contre la tenue de la conférence Bilderberg en 2011. Crédits : swiss-truth/Flickr - CC

 

 


 

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