Le Courrier  du mardi 18 août 2020

 

À REBROUSSE-POIL

 

On a eu chaud !

  

MICHEL BÜHLER *

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Je ne parle pas de la canicule qui nous a accablés ce mois d’août, précipitant la fonte des banquises et des glaciers, provoquant là des orages dévastateurs, et ailleurs des sécheresses dramatiques. Notons au passage que, le phénomène se répétant année après année, on s’y habitue. La hausse considérable des températures estivales tombe peu à peu dans le domaine du banal.

  

Non. Ce que je veux dire, c’est qu’on l’a échappé belle !

 

Il y a quelques mois, on parlait d’un monde d’après le confinement totalement différent de celui d’avant !

À l’extrême, de dangereux utopistes allaient même jusqu’à imaginer qu’à notre civilisation basée sur la compétition succéderait une autre société où la collaboration serait la règle, où humains et nature seraient respectés (1).

Rassurons-nous: tout est en train de redevenir comme avant, rien ne va changer !

Pour ceux qui en douteraient, les faits sont là, visibles jusque dans mon microcosme valdo-jurassien. Même si ceux-ci n’ont qu’une portée locale, ils n’en reflètent pas moins la tendance générale.

 

Prenez la Poste. Dans le monde nouveau, s’il avait vu le jour, ses dirigeants n’auraient plus pris de décisions sans écouter l’avis des usagers, sans au moins leur donner des informations claires. Cette folie est écartée! Evoquant sèchement «l’analyse de plusieurs paramètres», ce service public annonce que la plupart des boîtes postales de ma commune vont être supprimées – sans pour autant que l’on touche à la partie boutique de l’agence: non, mais! De plus, le tri du courrier pour toute la région se fera désormais sur un site centralisé. Pour s’y rendre, nos facteurs devront parcourir une vingtaine de kilomètres au début de chacune de leurs journées de travail. Bien sûr on ne les a pas consultés, pas plus que les autorités communales. Le règne vertical des géniaux technocrates n’a pas été ébranlé par le passage du coronavirus. Ouf !

 

Au chapitre général des déplacements: plus question de les réduire, de favoriser les circuits courts! Au contraire, le creusement d’un tunnel de plus de cent mètres et l’élargissement de la route qui monte d’Yverdon restent furieusement à l’ordre du jour. En temps ordinaires, 5000 véhicules traversent le village matin et soir. Grâce à ces travaux, le trafic facilité pourra encore se développer. Vive le progrès!

 

Pour ce qui est des énergies, la préparation de l’implantation de six éoliennes industrielles sur nos crêtes bat son plein, bien qu’on soit en attente d’un jugement du Tribunal fédéral. Des sondages sont effectués sur le terrain, les appels d’offres sont lancés. Ces machines construites en Allemagne n’apporteront aucun emploi dans la région mais un cortège de nuisances, leur rendement sera ridicule vu la faiblesse des vents, les subventions qui les feront tourner, prises dans la poche du consommateur, iront directement dans celle des actionnaires. On sait tout cela, comme on sait qu’il est mensonger de prétendre qu’elles remplaceront le nucléaire. Bah, l’heure n’est pas à la réflexion ou à faire campagne pour modérer notre consommation. Le projet traîne depuis vingt-cinq ans, il s’agit de le réaliser de toute urgence. Fonçons !

 

À l’échelle nationale, les nouvelles sont tout aussi encourageantes.

Tandis que les très hauts salaires continueront d’augmenter, on ne revalorisera surtout pas ceux des petits, bien qu’on ait constaté durant le confinement que ce sont eux qui font tourner le pays. Songer à adoucir les inégalités serait commencer à mettre en cause l’ultra libéralisme. Halte là !

 

On aurait pu craindre que le gouvernement ou le parlement nomme un groupe d’experts ou une commission d’enquête, à propos de l’arrivée et du développement de la crise. Si des erreurs ont été commises, les relever permettrait de ne pas les reproduire. Danger! Découvrir que nos élites ont failli hier pourrait laisser penser qu’elles peuvent se tromper demain. Notamment en demandant au peuple d’approuver prochainement l’achat d’avions de combat totalement inutiles (2).

Donc chut, on ne remue pas le passé !

 

En bref, le monde d’après sera pareil à celui d’avant! Qu’importe si toutes les conditions seront à nouveau réunies pour qu’une autre catastrophe survienne. L’important est d’avoir retrouvé notre confort et nos habitudes. Alors, pour marquer notre contentement, entonnons tous ensemble ce refrain, que la France joyeuse chantait à tue-tête juste avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale:

 

        «Tout va très bien, Madame la Marquise...»

 

M.B.

 

 

*www.michelbuhler.com - Dernier roman: «L’autre Chemin», chroniques, Bernard Campiche Editeur, 2019

1. Voir entre autres Manifeste 2020

2. Revoir ma chronique «Avions» dans Le Courrier du 27 juin 2017