Le Courrier du mardi 12 mai 2020
L’IMPOLIGRAPHE
Retour à l’âne normal
PASCAL HOLENWEG - Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève
Bon, ouala, depuis hier, on déconfine, pas à pas. On n’était pas vraiment confinés, sauf quand on était hospitalisé, en prison ou en EMS, mais peu importe: on déconfine quand même. Et ce à quoi il va falloir résister maintenant, c’est à la furieuse envie de tirer un trait sur l’épisode covidien et de revenir au statu quo ante. Ce qui va sans doute régner, c’est l’envie d’un retour à l’anormal; le monde d’avant, le monde de l’insouciance climatique, sociale, politique, économique. Et des séances plénières du Conseil municipal de la Ville de Genève. Cette envie de ce qui ne serait après tout que celle d’une restauration repose en apparence sur d'assez solides arguments: le réchauffement climatique? Oui, bien sûr il va se poursuivre, la lutte contre la pandémie n’a été qu’un répit, le temps d’entendre les oiseaux en ville et de moins saloper l’environnement; mais l’urgence climatique, c’est du long terme. Le court terme c’est l’économie, le chômage. La fin du mois contre la fin du monde, comme d’hab... Comme dit le Centre patronal vaudois, «il faut que l’économie reprenne ses droits».
Mais quels droits a-t-elle, «l’économie»? Aucun, si on admet qu’elle n’est que l’organisation de la subsistance collective des sociétés humaines (subsistance à laquelle se sont, progressivement, ajoutés les droits fondamentaux que proclament aujourd’hui les grands textes du droit international et des Constitutions démocratiques). L’économie n’a pas de «droits», elle n’a que ce devoir-là: nous permettre, à toutes et tous, de nous nourrir, de nous loger, de nous soigner, de nous vêtir, de nous déplacer, de nous informer, nous cultiver, nous délasser. L’économie est au service de la population, pas le contraire – c’est la population qu’il faut soutenir d’abord, pas l’économie. La population, c’est-à-dire des personnes réelles.
L’économiste en cheffe du groupe Indosuez l’assure: «La reprise sera longue à venir.» La reprise de quoi? De l’«économie»? Mais de laquelle? Toute «l’économie» ne s’est pas si mal portée de la coronapandémie, et il y en a à qui le virus ne s’est attaqué que pour leur faire des couilles en or: les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Microsoft a vu ses bénéfices augmenter de 22,8% entre le premier trimestre 2019 et le premier trimestre 2020 et atteindre 10,8 mil-liards de dollars US, et Facebook a fait encore mieux: 100% d’augmentation (5 milliards de bénéfices), alors que leurs cotes en bourse plongeaient (avec la bourse elle-même). Il est vrai que ces monstres se sont rendus indispensables en période de confinement: Amazon a suppléé aux commerces fermés, et son chiffre d’affaire a bondi de 26% pour atteindre 75,5 milliards...
Cette manne leur a permis de jouer les philanthropes: Google et Facebook ont cartographié le virus, Google a ouvert des centres de dépistage, Amazon a engagé 175’000 personnes aux USA, Google et Apple ont développé un système commun de traçage du virus... Pour le reste, Indosuez prévoit un recul de 3% du PIB mondial et l’OMC une baisse du commerce international de 12 à 32% en 2020 par rapport à 2019... Mais quel est le commerce qui va baisser? Le commerce de quoi? Tous les achats importants ne sont pas reportés aux calendes grecques (ou turques): la Suisse veut acheter des avions de combat pour des milliards de francs... Et au Brésil, sous la houlette de Carbonaro et de ses séides, la déforestation de l’Amazonie continue, et même s’accélère. Tant pis pour les Indiens. Si le coronavirus passe par là, il réglera le problème, comme la variole a réglé le problème des Amérindiens du nord: en les exterminant.
Revenons à nos moutons, nos pénates et nos foyers: Sans doute le confinement physique est-il totalement contradictoire avec le comportement «normal» dans nos sociétés – mais on parle bien ici du confinement physique, parce qu’il en est d’autres, plus pervers: on peut courir de son lieu de domicile à son lieu de travail, du lieu de stationnement de sa bagnole à son lieu de rendez-vous ou de consommation, d’un rite social à un autre, tout en restant confiné dans un rôle social, un dogme idéologique ou religieux, une activité professionnelle...
Le déconfinement, après tout, pourrait bien n’être qu’un retour à l’âne normal: celui qui brait quand on le prive de son fitness ou de sa teuf. Ou de ses séances de Conseil municipal? Euh... Bah, après tout, l’âne est un animal fort sympathique. Qu’Aliboron nous pardonne nos jeux de mots hasardeux: c’est moins de lui qu’on ricane que du mouton de Panurge.