Politique

blé fou

OGM à l'Étude !


Les OGM arrivent...

...des bancs des laboratoires !


Les études sont faites mais les craintes démeurent !



...suite des études produites par les divers laboratoires :

compilé par Georges Tafelmacher
À Gauche Toute!
POP/GeM section Lavaux-Oron



Maïs OGM: une étude sème le trouble

Publié dans "L'HEBDO" section SCIENCE du 26 JUILLET 2007 - par Natalie Bougeard.

POLÉMIQUE   -   Décryptage d'une querelle entre pro et anti-OGM.

Une étude relate les effets néfastes d'un maïs génétiquement modifié chez des rongeurs l'ayant absorbé. L'auteur et l'article scientifique sont très controversés.

Tout commence par un article alarmiste du Monde le 14 mars dernier, repris dans Le Temps, puis développé dans d'autres journaux. «Forts soupçons de toxicité sur un maïs OGM», titre le quotidien genevois, «Du maïs transgénique se révèle toxique», écrit La Liberté. Alors que l'ONG Greenpeace affirme sans ambages sur son site: «Première scientifique: une étude prouve qu'un maïs OGM autorisé pour l'alimentation humaine provoque des signes de toxicité.»

Au centre du tumulte? Une étude signée par Gilles-Eric Séralini et deux de ses collègues du CRIIGEN (Comité de recherche d'information indépendant sur le génie génétique) parue dans le journal scientifique Archives of Environmental Contamination and Toxicology. Il y met en cause l'innocuité du maïs transgénique Monsanto, MON863 de son petit nom. Une céréale autorisée dans de nombreux pays, mais qui reste interdite en Suisse.

PAS DE DANGER   A l'origine de toute l'histoire: une analyse effectuée par Monsanto au début des années 2000 pour connaître les conséquences que pourrait avoir la consommation de son maïs modifié MON863 et obtenir, in fine, l'autorisation de le commercialiser sur le marché mondial. Pendant 90 jours, les scientifiques du géant agrochimique ont nourri 400 rats, les uns avec des grains OGM, d'autres avec du maïs "normal". Résultat: ils ont mis en évidence des variations de paramètres biologiques entre les rongeurs ayant consommé du transgénique et les autres. Mais les chercheurs de l'entreprise ont conclu que les écarts entraient dans le cadre de la variabilité naturelle des paramètres mesurés. Les effets de l'OGM n'ont donc pas été considérés comme pathologiques par la firme américaine. Peu après, lorsque les institutions sanitaires d'une dizaine de pays européens et l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) passent au crible le dossier, ils arrivent à la môme conclusion.

Gérard Pascal, rapporteur du dossier au sein de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) qui conseille le gouvernement français en matière d'OGM, se souvient: «En juin 2003, j'ai pour la première fois examiné le dossier du MON863. Mais il n'était pas complet: l'étude sur les rats n'y figurait pas.» La CGB demande alors à la Commission européenne de lui transmettre le dossier intégral de 4000 pages. En octobre 2003, Gérard Pascal remarque, en analysant le pavé de données, des anomalies chez les rats. Dans le doute, il rencontre des toxicologues de Monsanto et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Deux spécialistes mondiaux mandatés par le groupe agrochimique analysent aussi le dossier. Et une contre-expertise est effectuée par un ancien directeur de l'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort, reconnu dans le domaine.

Leurs conclusions sont sans appel: «Les différences ne sont pas dues à une toxicité du maïs OGM, mais à la variabilité biologique», cite l'expert. Elles sont donc la conséquence de variations naturelles. Dans le môme temps, l'agence européenne de sécurité alimentaire aboutit à la môme conclusion - pour les mômes raisons: «Une centaine de scientifiques de l'EFSA et des instances de sécurité des pays européens ayant épluché le dossier ont affirmé que ce maïs transgénique ne présente pas de dangers particuliers», explique Gérard Pascal. Le MON863 est donc mis sur le marché français en 2005. Une décision identique est prise au niveau européen.

NOUVELLE ANALYSE   Une situation quine satisfait guère l'ONG Greenpeace. Elle dépose un recours et obtient de la justice allemande que les données jusque-là secrètes de la multinationale soient rendues publiques. Gilles-Eric Séralini saisit l'occasion: il procède à une nouvelle analyse statistique des résultats désormais accessibles à tous. Le professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen fait, comme Gérard Pascal, partie de la Commission du génie biomoléculaire. Il avait donc déjà eu le dossier en main; mais il était alors tenu à la confidentialité.

L'étude de l'universitaire caennais - financée par Carrefour, le géant des hypermarchés, et Greenpeace - paraît en mars 2007. Elle met en évidence des troubles chez des rats ayant consommé du MON863: ils souffrent d'anomalies rénales, hépatiques et métaboliques. Les taux de graisses et de sucres augmentent dans le sang des femelles, ainsi que le poids du foie par rapport au corps. Chez les mâles c'est le contraire. L'article scientifique conclut que «des expériences sur le long terme sont nécessaires pour déterminer la nature réelle et l'étendue de ces possibles pathologies. Avec les données actuelles on ne peut pas conclure que le maïs transgénique MON863 est un produit sûr pour la consommation.»

PLUIE DE CRITIQUES   Ces conclusions sont largement médiatisées et la polémique enfle. Dans les milieux scientifiques, les critiques pleuvent. «La nocivité n'est pas du tout prouvée, estime Christof Sautter, de l'Institut de biologie végétale de l'École polytechnique fédérale de Zurich. Les auteurs écrivent que le maïs n'est pas sans risque, ce qui ne veut pas dire qu'il est toxique. On ne peut rien conclure de cet article.» Certains mettent môme en doute les compétences du chercheur. «L'étude de Gilles-Eric Séralini est bidon, elle n'apporte absolument rien de nouveau, dit Gérard Pascal, le rapporteur de la CGB. Son équipe n'est pas crédible au point de vue scientifique - mais en lançant ce genre de rumeurs, il accède aux médias.»

Un reproche que lui fait également le biologiste français spécialisé dans les OGM, Marcel Kuntz, du Centre national de recherche scientifique (CNRS), qui affirme: «Séralini est avant tout un militant anti-OGM, c'est un lanceur d'alerte. Mais scientifiquement ses positions ne tiennent pas la route.» Monsanto ne prend pas position sur les compétences de son détracteur, mais ne se montre pas très inquiet: «Ce maïs a déjà avaient été examiné dans le monde entier. Les experts conclu unanimement que le maïs en question est aussi sûr que le maïs traditionnel», dit Yann Fichet, directeur des relations publiques de Monsanto France. Et en effet, l'agence européenne de sécurité alimentaire a, suite à la mise en cause de Gilles-Eric Séralini, passé au crible le dossier du scientifique. Pour conclure le 28 juin dernier, encore une fois, qu'aucune preuve d'un quelconque danger ne permettait de s'opposer à la mise sur le marché du MON863.

CONTRE-ATTAQUE   Mais l'histoire ne s'arrôte pas là: Gilles-Eric Séralini choisit de répliquer. Associé aux experts scientifiques du CRIIGEN, il publie un communiqué en cinq points, où il défend notamment sa méthodologie. La décision de l'EFSA ne l'étonne guère: «S'ils nous donnaient raison, tous ceux qui ont travaillé sur le dossier auraient tort. C'est une vingtaine de tôtes de l'agence européenne qui sauteraient», explique l'universitaire caennais. «C'est une erreur historique d'autoriser ces OGM et de laisser 450 millions d'Européens les avaler pendant des années, alors que personne n'a été capable d'en donner plus de trois mois à des rats! Il est inadmissible que des données de Monsanto soient cachées par les autorités, que l'étude n'ait été faite que sur une seule espèce de mammifère seulement pendant 90 jours, et enfin que tout le monde soit d'accord pour dire qu'il y a des divergences mais que personne ne veuille en discuter les effets toxicologiques.»

Gilles-Fric Séralini exige que des experts qui n'ont encore jamais touché au dossier s'y attaquent et fassent une étude sur du long terme. C'est aussi ce que demande l'Autriche soutenue par 12 autres États européens. Lors du Conseil européen de l'environnement de juin, les ministres des divers Etats ont demandé d'examiner à nouveau la nocivité du MON863 dans une étude à long terme, «afin de l'interdire ou de limiter son autorisation». Une initiative qui hérisse Gérard Pascal: «Je trouve très surprenant que des politiciens prennent, sans justification, des décisions contraires aux recommandations de leurs scientifiques! Cela discrédite les chercheurs.» D'ailleurs il ne pense pas qu'une étude longue prouverait l'innocuité ou le danger des organismes modifiés: «Il faut arrôter de gaspiller de l'argent et du temps sur les OGM pour rien: on sait que leurs effets sur la santé, s'ils existent, ne sont que très discrets! À un moment, il faut arrôter de faire peur aux gens avec des mensonges.»

FOUILLIS   Il faut bien l'avouer, et "l'affaire" du MON863 l'illustre à merveille: la querelle autour de la nocivité des OGM est davantage idéologique que scientifique. Pour l'heure, les chercheurs s'affrontent à coups d'études, jamais vraiment "indépendantes". Elles sont financées soit par le camp des pro-OGM soit par celui des anti-OGM. Si la première analyse du MON863 provenait de Monsanto, sa réinterprétation par Gilles-Eric Séralini était financée par le géant Carrefour et l'association Greenpeace.
Difficile d'y voir clair dans ce méli-mélo d'études. D'ailleurs, une nouvelle vient de tomber: Gilles-Eric Séralini a publié un communiqué de presse qui recense les mômes symptômes nocifs chez les rats que ceux trouvés avec le MON863. Cette fois les rongeurs ont ingurgité du NK603, un autre maïs OGM, également produit par Monsanto. Pour l'instant, presque aucun journal n'a fait écho.

Hebdo



Les gènes se révèlent

Par Natalie Bougeard pour L'Hebdo du 14 Juin 2007

PATATRAS - Des chercheurs suisses bouleversent la génétique: la fameuse doctrine «un gène code pour une protéine» tombe définitivement en ruine. Comme quoi, les choses ne sont jamais aussi simples !

Stylianos Antonarakis est professeur de génétique médicale aux HUG et Alexandre Reymond, professeur assistant à la faculté de Biologie et de Médecine de l'université de Lausanne.

«Nous sommes tels des explorateurs qui viennent de poser le pied sur une nouvelle contrée après des années de voyage, explique Stylianos Antonarakis. Maintenant il faut comprendre les trésors que recèlent ces vastes terres inconnues.» Ce n'est de loin pas la première épopée pour les généticiens Stylianos Antonarakis de l'Université de Genève et Alexandre Reymond de l'Université de Lausanne: les deux collègues ont, notamment, participé à l'annotation et au décodage du chromosome 21. Cette fois, leur découverte déconstruit une théorie qui régit la génétique depuis presque un siècle: l'illustré «Un gène code pour une protéine». Les résultats de leur analyse du génome humain montrent que le phénomène est bien plus complexe et que parfois plusieurs gènes s'associent pour donner une protéine.

Les travaux des deux chercheurs s'inscrivent dans le cadre du programme ENCODE, pour ENCYCLOPEDIA of DNA Elements. Lancé en 2004, ce projet a pour but de déterminer quels éléments jouent un rôle dans le génome de l'homme. Pour cela 309 chercheurs de 80 institutions réparties dans 11 pays ont analysé 1% de notre patrimoine génétique. Le travail a été partagé en cinq axes de recherche.

«Notre équipe a fait trois observations importantes», explique Stylianos Antonarakis. Les spécialistes estimaient jusqu'ici que les gènes s'étendent en moyenne sur une distance de 27'000 nucléotides (molécules de base du génome), soit environ 15 nanomètres. En réalité ils sont «sept fois plus grands»: ils s'étalent sur plus de 200'000 nucléotides. Les chercheurs suisses, aidés de collègues américains, anglais et espagnols, ont ainsi détecté des parties d'un gène à une distance incroyable l'une de l'autre. En outre, ces portions inconnues sont beaucoup plus nombreuses qu'on ne le pensait. Clou du spectacle, ces territoires se chevauchent: des gènes voisins peuvent se connecter. Un morceau d'un gène particulier peut ainsi "s'accoler" avec une partie d'un autre gène situé à une très grande distance pour donner une protéine chimérique.

«Nous avons désormais prouvé que l'idée d'un gène localisé dans une certaine partie précise du génome isolée des autres gènes est fausse», dit Alexandre Reymond. Bref, les mécanismes qui mènent à la synthèse d'une protéine ne sont pas aussi simples qu'on le pensait. Il va falloir désormais, à l'image de notre société internet, résonner en "réseaux".

Ce qui n'est pas sans influence sur la recherche et le traitement des maladies génétiques comme le diabète, la schizophrénie, alzheimer, la sclérose en plaques ou toutes les pathologies liées au vieillissement. «Auparavant nous cherchions les causes de maladies sur un seul gène, que parfois on ne trouvait pas. La solution est maintenant de regarder des zones bien plus vastes et de prendre en compte les gènes voisins», estime le chercheur lausannois.

Une nouvelle porte s'est ouverte dans le labyrinthe du génome humain. Reste maintenant à explorer les nouveaux chemins.

Natalie Bougeard ©L'Hebdo



Les fausses promesses de Monsanto

Publié par Organicagcentre en 2007

Selon les enquêtes menées sur place par des organisations indiennes, le rendement du coton Bt, produit par la multinationale Monsanto, va de 65 à 105% de celui du coton non transgénique. En conditions optimales, les hausses de rendement du Bt ont été négligeables. En situation de sécheresse, les rendements de coton Bt ont été bien inférieurs à ceux de la variété non transgénique. Les bénéfices, lorsqu'il y en a eu, étaient plus importants pour les grands exploitants, et en baisse pour les petites et moyennes exploitations.

Le coton Bt n'a pas fait disparaître les problèmes d'insectes; l'utilisation des pesticides n'a pas diminué de façon notable. Malheureusement, les agriculteurs qui ont cultivé du coton Bt ont eu davantage d'infestations d'insectes ravageurs suceurs et ont utilisé plus de produits pour les détruire.

Sur le plan financier, le coton Bt n'a pas été la réussite prévue. Les agriculteurs qui ont planté le Bt ont payé leurs semences trois fois plus cher que d'ordinaire, et le Bt exige un apport plus grand en fertilisants. L'une des difficultés associées au Bt est sa plus grande vulnérabilité en conditions rigoureuses: sécheresse, pauvreté du sol, insectes autres que ceux que cible le Bt, maladies.

D'après Jennifer BROMM, assistante à la recherche au Centre d'agriculture biologique du Canada (CABC)



La poudre aux yeux de l'évaluation des OGM

Par Aurélien Bernier (Le Monde Diplomatique - Novembre 2006)

Sous le regard intéressé des multinationales, les organismes génétiquement modifiés (OGM) s'invitent dans l'alimentation. Que ce soit officiellement, par des autorisations délivrées sous la pression des lobbies des multinationales, ou clandestinement, par la contamination de filières alimentaires. A la racine de ce début de prolifération, l'absence de procédure indépendante d'évaluation des effets des plantes transgéniques sur la santé et l'environnement.

Tout internaute visitant le site interministériel du gouvernement français consacré aux organismes génétiquement modifiés (OGM) peut découvrir, dans une rubrique intitulée «Evaluer un OGM avant sa mise sur le marché», le paragraphe suivant: L'analyse des risques pour la santé et l'environnement est l'élément fondamental et préalable à toute autorisation de mise sur le marché d'OGM. Elle est fondée sur des éléments scientifiques pertinents et pluridisciplinaires, et est confiée à des comités d'experts indépendants» (1). Si cette page subissait le test du détecteur de mensonges, les ordinateurs connectés biperaient à répétition. Ce discours se heurte en effet à la réalité de l'évaluation des OGM, dont toute l'histoire montre qu'elle n'est, dans le meilleur des cas, que poudre aux yeux.

Apparue durant la seconde moitié du XXe siècle, la transgenèse est une technologie profondément nouvelle puisqu'elle permet, pour la première fois, d'insérer artificiellement dans une cellule une construction génétique étrangère. Or, de telles applications sur des êtres vivants posent des questions sanitaires et environnementales, sans parler de considérations éthiques, qui obligent à mettre en place une évaluation spécifique de leurs impacts. Pourtant, il n'en a jamais rien été.

Aux États-Unis, pays pionnier en matière de manipulations génétiques, les propositions de loi visant à contrôler politiquement le développement des biotechnologies apparaissent à la fin des années 1970 (2).

Certaines d'entre elles envisagent de créer des commissions de régulation ad hoc. Mais le Congrès prend rapidement une première décision lourde de sens: les agences fédérales existantes (3), dans le cadre des réglementations en vigueur, suffiront à organiser la régulation. Le 26 juin 1986, le président Ronald Reagan signe un ensemble de règles connues sous le nom de Coordinated Framework for Regulation on Biotechnology Policy (cadre de coordination de la réglementation de la politique des biotechnologies) qui ouvrent la voie à la dissémination des OGM en consacrant le principe de "l'équivalence en substance": les produits transgéniques, comparés aux produits non transgéniques équivalents sur la seule base de leur composition (nutriments présents, substances toxiques ou allergènes), ne seront soumis à aucune réglementation spécifique. Les autorités américaines décident donc d'ignorer les méthodes de production des OGM et leurs conséquences éventuelles sur l'environnement et sur l'alimentation.

Douteux système européen

Cette démarche constitue une aberration scientifique. En n'étudiant que les changements planifiés, on ne peut identifier, par exemple, une possible interaction entre la protéine fabriquée par le nouveau gène et d'autres protéines de l'organisme. Or c'est un mécanisme de cette nature qui est à l'origine de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), plus connue sous le nom de maladie de la vache folle, et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'exemple tragique du tryptophane aurait par ailleurs dû suffire à disqualifier la notion fondatrice de la législation américaine: la production de cette molécule d'intérêt thérapeutique, à partir d'une bactérie génétiquement modifiée autorisée par l'Agence pour la sécurité des aliments et des médicaments (FDA), sur la base de l'équivalence en substance, a provoqué en 1989 une épidémie qui a occasionné trente-sept décès et la paralysie à vie de mille cinq cents personnes (4). Ce qui n'empêche pas cette façon de procéder de perdurer aujourd'hui encore en Amérique du Nord (5).

L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sur proposition des États-Unis, avait anticipé une extension internationale du développement des OGM. Sous son égide, un groupe "d'experts" avait rédigé un Livre bleu, publié en 1983, et intitulé Considérations de sécurité relatives à l'ADN recombiné. Son contenu se résume en une seule phrase, qui figure dans la conclusion: Il n'y a aucune justification scientifique à l'adoption d'une législation visant spécifiquement les organismes à ADN recombinés.» L'élimination des risques de distorsion de concurrence et d'entrave à la libre circulation des marchandises doit prévaloir sur toute autre considération. En 1986, la France s'inspire de ce rapport en créant la Commission du génie biomoléculaire (CGB), chargée "d'évaluer" les conséquences de la dissémination des OGM, dont l'apparition dans les champs se profile à l'horizon. L'Union européenne aurait sans doute emboîté le pas si plusieurs événements perturbateurs n'étaient venus changer la donne: entrée de députés Verts au Parlement européen, crise de la vache folle, mais aussi premières destructions en Europe de parcelles transgéniques.

Ainsi, les directives 90/219 et 90/220, puis leur remplaçante, la 2001-2018, ne reprennent-elles pas le principe de l'équivalence en substance, et optent pour une « évaluation au cas par cas». La pression de l'opinion aboutira également, en 2003, à l'adoption d'un règlement qui impose l'étiquetage de produits contenant plus de 0,9% d'OGM.

À y regarder de près, le système européen est cependant d'une fiabilité plus que douteuse... Certes, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et, en France, la CGB et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sont chargées de l'examen des dossiers d'autorisation. Mais absolument tous les éléments sur lesquels elles se fondent leur sont fournis par les demandeurs, à savoir les multinationales qui entendent commercialiser leurs produits! Jamais aucune contre-expertise indépendante n'a été exigée. Lorsque des compléments d'information sont nécessaires, ils sont donc réclamés à Monsanto, Pioneer ou Biogemma. Dans un entretien accordé à Inf'OGM en juin 2004, M. Martin Hirsch, ancien directeur de l'Afssa, confiait d'ailleurs que «les demandeurs fournissent des dossiers volontairement incomplets en espérant décourager les organismes chargés d'émettre des avis, et tirer ainsi encore un peu plus vers le bas le processus "d'évaluation».

Comble de l'audace: lorsque l'Union européenne a été déférée en 2003 par les Etats-Unis, le Canada et l'Argentine devant l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) au sujet d'une législation sur les OGM jugée trop contraignante par les plaignants, elle a mis en avant, dans son mémoire en défense, les importantes lacunes de son propre système d'évaluation et les dysfonctionnements de l'EFSA (6) ! Le 29 septembre dernier, l'OMC a rendu sa décision sur ce contentieux: l'Union européenne avait enfreint les règles du commerce international - les seules qui comptent pour elle - en imposant un moratoire de fait sur les OGM entre 1999 et 2003. Mais elle n'a pas été condamnée car, entre-temps, elle avait levé ce moratoire...

Parallèlement à ce processus d'autocritique - le plus discret possible, cela va sans dire -, de nombreuses variétés transgéniques ont été et sont toujours autorisées, parfois dans des conditions inquiétantes. Le fameux maïs Monsanto 863 de la multinationale a ainsi bénéficié de la complaisance de l'EFSA, puis de l'agrément de la Commission européenne, en dépit de résultats de tests toxicologiques contestables (7). En France, des actions menées en 2006 devant les tribunaux administratifs par des associations et des syndicats agricoles (le Modef et la Confédération paysanne) ont conduit à l'annulation de plusieurs autorisations d'essais de plantes transgéniques, tant les études d'impact sur l'environnement exigées par la réglementation avaient été bâclées. Ces jugements, en particulier celui du tribunal administratif de Strasbourg, rendu le 25 juillet, constituent une sanction pour les entreprises, mais ils doivent surtout être compris comme un blâme adressé à cette CGB tant vantée par les pouvoirs publics. Il est par ailleurs audacieux de qualifier "d'indépendants" les fameux "experts" qui la composent, tant les collusions entre plusieurs d'entre eux et l'industrie des biotechnologies sont avérées. Ce qui n'est sans doute pas sans rapport avec le laxisme qui prévaut lors de l'examen des dossiers (8).

Prévenir les disséminations

La conclusion s'impose: jamais les plantes transgéniques ou les aliments qui en sont issus n'ont été sérieusement évalués, ni sur le plan sanitaire ni sur le plan environnemental. Pour couronner le tout, la Banque mondiale se permet à présent, dans un rapport récent (9), de vanter les avantages économiques que le coton transgénique procurerait aux agriculteurs en prenant ses sources chez celui qui le commercialise: le semencier Monsanto !

L'absence d'outils objectifs d'expertise légitime l'opposition à la dissémination des OGM dans l'environnement et la demande d'un moratoire s'accompagnant de leur strict confinement dans les laboratoires à des fins de recherche fondamentale. Il y a urgence à reprendre de zéro tout le processus d'évaluation des organismes issus de la transgenèse, en développant un véritable service public dont la neutralité soit inattaquable, et qui, au-delà des questions scientifiques, intégrerait des paramètres socio-économiques, cruellement absents des travaux de la CGB ou de l'EFSA.

En mars 2006, le Sénat avait adopté en première lecture un projet de loi visant à mettre en conformité le droit français avec la directive européenne 2001-2018 qui, entre autres dispositions, introduit un principe de "coexistence" entre filières OGM et non-OGM. Invoquant un calendrier parlementaire chargé, le gouvernement a renoncé à le soumettre à l'Assemblée nationale à la session d'automne, et le sénateur Jean Bizet, dans un message lu à la fin des débats, a appelé de ses voeux l'élaboration «d'une véritable loi fondatrice sur les biotechnologies».

Un tel texte est effectivement indispensable puisque, en l'absence d'encadrement, la culture des plantes transgéniques se fait de manière sauvage. Encore faut-il, à la veille des échéances électorales de 2007, que l'hostilité massive des citoyens aux OGM soit entendue pour que se dégage une proposition responsable permettant de prévenir toute dissémination dans l'environnement.

Aurélien Bernier ©Le Monde Diplomatique

Références:

(1) www.ogm.gouv.fr/fiches/...

(2) Les références historiques sont issues d'une étude de Damien de Blic intitulée «L'intervention des acteurs sociaux dans le processus décisionnel des organisations internationales. Une approche sociologique à partir de deux études de cas», disponible au Centre de droit international de l'Université libre de Bruxelles...

(3) United States Department of Agriculture (USDA, ministère de l'agriculture); Food and Drug Administration (FDA, Agence pour la sécurité des aliments et des médicaments); Environmental Protection Agency (EPA, Agence de protection de l'environnement)...

(4) Consulter à ce sujet le site Seeds of Deception: www.seedsofdeception.com...

(5) Les principes mis en oeuvre aux Etats-Unis pour encadrer les biotechnologies furent rapidement copiés par le Canada. A ce sujet, voir le site de Biotech Action Montréal: bam.tao.ca/fr/fra nc.htm...

(6) Voir le site des Amis de la Terre: www.amisdelaterre.org/article.php...

(7) Un rapport complet de Gilles-Eric Séralini est disponible sur le site du Comité de recherche et d'information indépendante sur le génie génétique (Crii-gen): www.criigen.org/...

(8) Lire Bernard Cassen, «OGM, des académiciens juges et parties», Le Monde diplomatique, février 2003. Consulter également le site d'Attac France: www.france.attac.org /article.php...

(9) Cf. Bulletin d'Inf'OGM, n° 76, juin 2006, à commander sur www.infogm.org...



L'Environnement ou le retour d'Eve

Publié dans le "Recto Versean" Juin 2007

Comment l'environnement peut-il affecter l'équilibre hormonal de l'homme et sa faculté à se reproduire? C'est la question que l'on doit se poser à l'heure actuelle et à laquelle je vais répondre par des constatations.

Depuis plusieurs décennies, l'accumulation d'observations concernant aussi bien l'espèce humaine que le monde animal, a permis de suggérer l'influence de substances fabriquées par l'industrie sur le comportement sexuel et la reproduction. Ces xéno-estrogènes dispersés dans l'environnement sont des produits mimant l'action des hormones naturelles, notamment l'estradiol, typiquement féminine mais qui possède des cibles hormonales chez l'homme. On en connaissait déjà l'impact malheureux à travers le Distrilbène (DES), médicament délivré à grande échelle aux femmes, enceintes entre 1948 et 1977 Ce traitement a été responsable chez les bébés mâles de20% d'anomalies des organes génitaux: hypospadias cryptorchidie, kyste épididymaire, micropénis, hypotrophie testiculaire. A l'âge adulte, il apparaît une stérilité et des cancers génitaux.

Cette "affaire" n'aurait-elle pas dû représenter à nos yeux la nouvelle barbarie qui est celle de la modernité aveugle au détriment de l'humanité? Lorsque l'on n'est pas informé, se doute-t-on de l'ampleur des dégâts occasionnés pas les perturbateurs endocriniens qui nous colonisent? Ces molécules sont présences dans l'air, l'eau, le sol, la chaîne alimentaire les objets domestiques... Il a fallu que le rapport du Ministère danois de l'environnement nous alarme en l995 ! Parmi la longue liste des poisons potentiels, on retrouve les pesticides organochlorés dont le DDT, le lindane ou l'atrazine. Les biphényls polychlorés (PCB) sont utilisés comme isolants électriques eu les dioxines sont des produits tristement célèbres de dégradation des déchets urbains. On suspecte l'influence des pesticides organochlorés dans l'augmentation de la fréquence des cancers du testicule et des cryptorchidies dans de nombreux pays. Le dibromo-chloropropane, proche du DDT, a été rendu responsable d'une nette baisse de la fertilité chez des ouvriers de bananeraies au Costa Rica et en Californie. Chez des enfants avant la période de puberté, on a observé des recrudescences de gynécomastie dans certains endroits comme Bahreïn, Porto Rico ou même l'Italie. Elles ont été provoquées par la consommation de volaille ou de boeuf traités aux hormones, mais aussi à la proximité d'industries chimiques produisant des xéno-estrogènes. Autour de certains grands lacs américains, des garçons ont été victimes de la chaîne alimentaire à travers le poisson pèche sur place. En effet, la chair avait accumulé du DDT en grande quantité dans le tissu graisseux. On a donc vu apparaître des anomalies des organes génitaux mais aussi de l'identité sexuelle.

Des constatations alarmantes ont pu être faites car des passionnés, professionnels ou non, ont établi les premières descriptions chez nos amies les bêtes. Observer la reproduction d'une espèce est le premier indicateur de sa bonne santé. C'est comme cela que l'on a détecté la stérilité des visons du lac Michigan. La faute en revient aux taux importants de PCB dans la nature. Le PCB est encore en cause avec le DDE lorsque l'on constate en Floride une cryptorchidie chez 90% des panthères. II s'agir là aussi d'une cause reconnue de stérilité. Les alligators du lac Apopka sont touchés dans leur reproduction à cause du difocol qui pollue les eaux et provoque des micopénis. Ce phénomène commence à s'étendre à l'homme.

Les différents polluants, perturbateurs endocriniens, influencent aussi le comportement sexuel. On reproche souvent au mâle son agressivité et sa libido exacerbée qui sont en grande partie liées au taux de leur hormone sexuelle, la testostérone. Ce type d'impact endocrinien est nécessaire à la pérennité d'une espèce, permettant aussi la femelle de choisir le père le plus à même de lui fournir une progéniture résistante. Cette sélection naturelle est désormais influencée par les erreurs du monde moderne. Par exemple, sur les bords du Lac Ontario, les femelles goéland argentées nichent ensemble alors que les mâles ont un comportement féminisé, tout cela à cause du DDT.

Maintenant que des voix s'élèvent partout dans le monde pour mettre en garde contre ce phénomène, ça et là, des propositions sont faites pour en limiter les conséquences. Malheureusement, les choses ne sont pas si simples car la toxicité réelle d'un xéno-estrogène ne peut être uniquement évaluée sur une mesure ponctuelle. En effet, ces molécules restent très longtemps stockées dans la graisse humaine et animale. On appelle cela la bioaccumulation, ce qui conduit à une durée de vie de ces poisons beaucoup plus importante. C'est tellement vrai que leur concentration dans les poissons des lacs entrant dans la chaîne alimentaire est des milliers de fois plus importante que dans les eaux de surface ou les eaux potables. N'oublions pas non plus qu'après un épandage, les pesticides ont une durée de vie prolongée, parfois à l'échelle de l'existence de l'être humain. En effet, le DDT est biologiquement nuisible pour l'espèce humaine pendant 50 ans alors qu'il a perdu son effet sur les insectes depuis longtemps !

Il est bien de définir les concentrations de tel ou tel produit à ne pas dépasser, mais cela n'est qu'une hypocrisie car les effets néfastes sur l'Homme se produisent pour des concentrations 300 fois inférieures à celles dites toxiques. Alors, quels seuils retenir avant de tirer la sonnette d'alarme et de parler de pollution hormonale ?

Après cette description d'un état ponctuel mais déjà catastrophique, nous ne pouvons qu'être inquiets pour le devenir de l'espèce humaine dans les pays industrialisés ou ceux du tiers monde, exploités comme territoires expérimentaux, bafouant ainsi toute éthique.

De nombreuses études ont montré une diminution de près de la moitié du nombre des spermatozoïdes chez l'homme sur une période de cinq décennies. Tout le processus s'amplifie rapidement, conduisant les autorités médicales à développer les techniques d'assistance médicale à la procréation. Qui ne connaît pas autour de lui un couple qui va être pris en charge en fécondation in vitro en raison de problèmes de sperme ? Est-ce que la société pourra supporter tout cela sur le plan humain et financier ? Que penser aussi des femmes modernes qui ont maintenant en moyenne 30 ans au moment de leur première grossesses ? Elles ont eu le temps d'accumuler une grande quantité de xénobiotiques dans le tissu graisseux. Ces produits, contrairement aux estrogènes naturels, passent librement à travers le placenta pour aller agir sur le développement du foetus au niveau des organes génitaux et du cerveau. On comprend donc le danger qui menace notre société.

J'aurais pu tout aussi bien intituler cet article: "Quand l'homme devient femme". Cette phrase qui peut faire sourire ne nous renvoie-t-elle pas au jardin de l'Eden où Adam et Eve se partageaient la connaissance. Je souhaite qu'elle ne soit pas la prémonition d'une civilisation que l'on n'entrevoit que sous la forme de fiction, "Les Amazones". On sélectionnerait les mâles encore fertiles pour la reproduction ou encore on clonerait des individus ou des gamètes toujours dans ce but bien précis. Un soupçon d'embryologie et une pincée de génétique vont me permettre de vous donner une partie de la réponse. Depuis une trentaine d'années, des chercheurs se sont acharnés à chercher la portion du chromosome mâle Y, qui est responsable de sa dominance. Il s'agit du gène SRY (sex determinating region Y gene). Le train de la vie se met en route chez l'embryon et c'est vers la sixième semaine de développement, donc très tôt, qu'il se produira une orientation irréversible de la gonade vers un sexe ou l'autre. L'embryon humain est destiné à être une femme mais c'est entre la huitième et la dixième semaine qu'est produite une hormone provoquant la régression des structures féminines et conduisant à l'émergence d'un petit mâle. Vous comprenez donc que la perturbation d'un seul maillon de ce réseau de communication infiniment petit, par exemple par des produits toxiques, peut s'avérer dramatique.

Cette découverte va à l'encontre de l'interprétation la plus fréquente que l'on fait de la naissance d'Eve. Les difficultés des traducteurs nous laissent le choix entre deux options: soit Eve est issue de la côte d'Adam, soit elle est née à côté d'Adam. Ce que l'on peut affirmer à l'heure actuelle, c'est que il faut préserver notre condition originelle et devenir "une sentinelle" pour s'opposer aux dérives de la société industrielle, qui n'est qu'une de nos sombres facettes, depuis que Prométhée nous a offert la maîtrise du feu et du métal.

© "Recto Versean"

Jean-Marc Comas
Endocrinologue, diabétologue, andrologue
Ancien interne et Chef de clinique du Centre Hospitalo-universitaire de Limoges
Diplômé d'études supérieures de Gynécologie et de médecine de la Reproduction
Titulaire d'un diplôme inter-universitaire d'Andrologie
Attaché d'Endocrinologie au C.H.U. de Limoges
Président d'une Association d'aide aux diabétiques
Auteur de livres et de nombreuses publications scientifiques de haut niveau:
«Homme, Mode d'emploi - La levée des tabous», éditions Iprédis
«Ma Tyroïde et moi». éditions Iprédis
«Le Laurier reverdira - Histoire extraordinaire en pays Cathare», éditions Lacour-Rediviva

C'ETAIT PREVU !

Pro Natura Magazine n°5 / octobre 2006

Les chercheurs ont été passablement surpris quand ils ont découvert quelques exemplaires d'une graminée génétiquement modifiée à presque quatre kilomètres de son emplacement original. Cela n'aurait pas dû arriver et ne pourrait signifier qu'une chose: la graminée s'était "évadée" du champ d'essai.

agrostide

L'Agrostide stolonifère est une graminée sauvage très répandue en Europe et en Asie et qui a de proches parents en Amérique. Comme elle peut être coupée très court, elle est souvent utilisée comme pelouse pour les terrains de golf. Pour faciliter l'entretien de ces terrains, des chercheurs ont utilisé le génie génétique pour rendre l'Agrostide capable dé "résister aux herbicides.. II serait ainsi possible de traiter des terrains de golf avec des herbicides sans que cette graminée ait à en souffrir.

La graminée génétiquement modifiée a été expérimentée dans un champ d'essai en plein air dans l'Etat américain de l'Oregon. II semble qu'il se soit produit une propagation involontaire: des plantes des environs ont été fécondées avec du pollen de l'Agrostide génétiquement modifiée. Selon les chercheurs, cela constitue un exemple du caractère difficilement contrôlable du génie génétique agricole.

Pour éviter ce genre de surprise désagréable, la Suisse prévoit d'étudier l'intérêt et les risques du génie génétique agricole au cours des prochaines années dans le cadre d'un Programme national de recherche (PNR 59), moyennant l'investissement de 12 millions de francs. Les chercheurs intéressés avaient jusqu'à fin août pour suggérer des idées de projets. Un groupe international d'experts va maintenant choisir les projets et les réunir dans un programme de recherche. Le rapport final est prévu pour 2011.

A l'origine de ce programme de recherche: le succès important et inattendu remporté par l'initiative "Sans OGM". Le 27 novembre 2005, les citoyennes et citoyens suisses se sont clairement prononcés pour davantage de précaution dans l'utilisation de plantes utiles génétiquement modifiées. Un moratoire de cinq ans sur la culture commerciale de plantes génétiquement modifiées doit donner assez de temps pour étudier les risques d'une telle culture d'ici 2010. Le résultat de cette volonté populaire a été accueilli avec grand intérêt dans le monde entier et il a conforté dans leur combat de nombreux groupes et organisations qui s'engagent pour une agriculture sans génie génétique.

Comme il sera impossible, même à l'avenir, de prévoir avec certitude les conséquences écologiques des plantes transgéniques, il faut accorder une grande importance à la prévention. Dans ce cas, la prévention revient à dire que l'agriculteur doit avoir assez de raisons, en Suisse, pour ne pas cultiver de plantes transgéniques.

En tant que consommateurs, nous pouvons y contribuer de manière décisive.

Marcel Liner, chef de projet en Politique environnementale
© Pro-Natura Magazine



Les abeilles malades de l'homme

Article publié le 30 Août 2007 par LE MONDE, 2013 mots

Apiculteurs et firmes phytopharmaceutiques...
Sur tous les continents, les butineuses meurent de manière inexpliquée. Pour les apiculteurs, c'est une "sentinelle" qui disparaît, l'insecte étant le témoin de dérèglements invisibles à nos yeux. Francesco Panella se remémore très bien le jour où il a découvert cinquante de ses plus belles ruches désertées par leurs occupantes. M. Francesco Panella est président du Syndicat des apiculteurs professionnels italiens. Ses interlocuteurs lui décrivent le même étrange phénomène. Les ruches, qui débordaient d'abeilles au sortir de l'hiver, se sont brutalement vidées. Personne n'y comprend rien.

M. Panella se remémore très bien le jour où il a découvert cinquante de ses plus belles ruches désertées par leurs occupantes. «C'était le 28 avril, raconte-t-il dans un excellent français ourlé d'accent italien. Cela faisait plusieurs jours que j'étais complètement débordé, je recevais sans cesse des appels de mes collègues.».

M. Panella fonce jusqu'à l'un de ses ruchers, près du fleuve Ticino, dans la région de Milan. Là aussi, les butineuses se sont volatilisées. «Elles étaient les plus populeuses de toutes ! s'exclame-t-il, encore secoué d'émotion. En trente ans de métier, je n'avais jamais vu ça.» Pendant deux heures, il tourne en rond, passe en revue toutes les explications rationnelles, mais rien ne colle. «Je me suis assis, j'ai fumé une cigarette, et je me suis dit: "Quel con !" C'est la même chose que chez les autres ! Je ne pouvais pas croire que ça m'arriverait à moi.»

Ce sentiment d'incrédulité, beaucoup d'apiculteurs l'ont ressenti depuis quelques années. Partout ou presque, les abeilles meurent dans des proportions trop importantes. Certes, l'ampleur des pertes varie d'une région du monde à l'autre et d'une année sur l'autre. La saison et les circonstances ne sont pas toujours identiques. Mais c'est bien le même phénomène qui se produit, «sur une large échelle», précise Peter Neumann, du Centre agroscope Liebefeld-Posieux. Installé à Berne, la capitale de la confédération helvétique, cet institut assure la coordination du groupe de travail européen sur la prévention des mortalités. «Quelque chose est en train de dérailler» estime notre spécialiste. «Cela a lieu de plus en plus souvent et dans des proportions plus importantes.»

Aux Etats-Unis, où l'on parle de «syndrome d'effondrement des colonies», quelque 25% du cheptel auraient disparu au cours de l'hiver 2006-2007. En Europe, la France, la Belgique, l'Italie, l'Allemagne, la Suisse, l'Espagne, la Grèce, la Pologne, les Pays-Bas ont été touchés depuis le début des années 2000. Les pertes peuvent atteindre, localement, jusqu'à 90% des colonies. «Il est possible que cela se produise dans d'autres régions du monde, mais nous manquons de données», ajoute M. Neumann.

Tout allait pourtant pour le mieux depuis des millions d'années. Rien n'était venu déranger le tête-à-tête évolutif entre les plantes à fleurs, rivalisant d'éclat auprès des insectes pollinisateurs, et les abeilles, qui puisaient le nectar entre leurs pétales. Leurs vies se passaient immuablement, dans une troublante soumission aux lois de la ruche, où il n'est d'autre destin possible que travailler à la perpétuation de l'espèce. L'homme est-il en train de tuer à petit feu l'industrieux insecte qu'il a tant bien que mal domestiqué depuis l'Antiquité ? «Nous n'avons pas la clé du mystère, il y a un élément que nous ne comprenons pas, prévient Jean-Daniel Charrière, chercheur au Centre de Berne. Nous n'aimons pas être dans l'inconnu. Pourtant, avec les abeilles, nous le sommes souvent.» Dans l'incertitude, les spécialistes en sont réduits à énumérer toutes les causes de mortalité possibles.

Un temps envisagée, la piste des ondes électromagnétiques est écartée. Les OGM, en revanche, figurent toujours sur la liste des suspects. Selon une étude publiée dans la revue Science du 8 juin, les cultures transgéniques ont cependant un effet moins important sur les abeilles que les champs traités aux pesticides. Et l'hypothèse OGM ne peut expliquer les mortalités en Europe, où les surfaces plantées sont très faibles.

Restent deux pistes privilégiées: les maladies, virus, parasites et autres champignons, d'un côté. La dégradation générale de l'environnement - changements climatiques, raréfaction des fleurs et surtout surdose de produit chimiques -, de l'autre. Peut-être tout cela à la fois. «On peut supporter séparément une maladie, une mauvaise alimentation, un empoisonnement aux pesticides, mais quand tous les facteurs se conjuguent, il arrive un moment où la limite de résistance est atteinte», explique M. Neumann. Pour les apiculteurs, l'abeille est une "sentinelle", une "sonnette d'alarme", le témoin de dérèglements invisibles à nos yeux. Une chose est certaine, au bout de toutes les pistes, c'est toujours l'homme que l'on retrouve.

Jean Brun pose sur sa table de cuisine un lourd traité apicole, daté de 1931, soigneusement protégé d'un tissu à fleurs. Son grand-père Antoine y pose fièrement. C'est lui qui a offert à Jean, pour ses 12 ans, son premier enfumoir. Cinquante ans plus tard, l'homme a le visage brûlé par le soleil et les traits tirés. Il n'a pas dormi de la nuit. Il a fallu emporter des ruches près de champs de lavande situés à des dizaines de kilomètres de Saint-Rémy-de-Provence, où la famille est installée. Chaque année au printemps, les apiculteurs sillonnent les routes. C'est la "transhumance", la grande quête des fleurs. Les plus communes (colza, tournesol) donneront les "miels de France". Les plus nobles, les plus rares, prodigueront leur arôme à ces miels d'acacia, de romarin, de ronce, ou d'arbousier que les apiculteurs vous font déguster, l'oeil étincelant, comme des viticulteurs leur dernier cru.

Le métier a bien changé depuis que l'aïeul Etienne Brun s'est lancé, vers 1870. A l'époque, les colonies d'abeilles, élevées dans des troncs d'arbres, sont asphyxiées en fin de saison et la délicate cité de cire écrasée pour en extraire le miel. L'adoption de la ruche à cadres mobiles, qui permet de récolter sans anéantir la colonie, marque la naissance de l'apiculture moderne, dans la première moitié du XXe siècle.

Jusqu'aux années 1960, tout était très simple. «On ne bougeait pas les ruches, il y avait des fleurs à Saint-Rémy, raconte Jean Brun. On posait les hausses où les abeilles stockent le miel au printemps, et on récoltait 40 kg.»

Sans efforts. Puis les cultures de légumes ont recouvert la région. Ailleurs en France ce furent le blé, le maïs, le tournesol. La transhumance commença, le grand jeu de cache-cache avec les pesticides aussi. Ils sont arrivés dans les années 1970, «on s'est pris de sacrées raclées», se souvient Jean Brun. Cela continue. L'an dernier, il a perdu quatre-vingt six colonies. «Le voisin avait traité ses pommiers, il n'y avait pas de fleurs sur les arbres, mais au sol, oui, et les abeilles ont dérouillé. L'année précédente, c'était à cause d'un mariage. Quelqu'un ne voulait pas de moustiques à la noce de sa fille. Après le traitement, il n'y a plus eu ni moustiques ni abeilles.»

A force, les apiculteurs dessinent leur propre cartographie du territoire. Il y a les zones "sûres" et les zones "à risque". Ils descendent dans le détail, à la parcelle. «La quantité de traitements peut être divisée au moins par deux selon les agriculteurs, relève Norbert Maudoigt, 49 ans, un voisin de Jean Brun. Cela dépend de leur âge, de leur caractère, s'ils sont plutôt inquiets ou pas, s'ils écoutent le commercial qui leur vend les produits, s'ils y consacrent vraiment du temps.» Les confrontations "d'homme à homme" ne manquent pas. Mais rares sont ceux qui condamnent en bloc l'agriculture. «Je ne peux pas en vouloir à des gens qui sont piégés, dit Jean-Claude Canac, apiculteur à Servian, dans l'Hérault. On a dit aux agriculteurs d'être productifs pour pas cher, on les a payés pour arracher les zones dont ont besoin les abeilles.»

Dans la guerre chimique menée par l'homme aux insectes ravageurs des cultures, les armes ont évolué. De plusieurs kilos de matières actives à l'hectare, on est passé à quelques dizaines de grammes. Mais les abeilles ne semblent pas s'en porter mieux. «Avant, on avait surtout des paquets d'insectes morts devant les ruches, maintenant c'est de plus en plus diffus, de plus en plus sournois, constate Norbert Maudoigt. Les produits leur bousillent le sens de l'orientation, elles meurent à l'extérieur de la ruche. Nous, on voit qu'il manque du monde, mais comme on n'a pas d'abeilles mortes, c'est difficile d'apporter la preuve.»

La route qui conduit chez Martin Machado, dans le Cher, est monotone. Du blé, encore du blé, toujours du blé, c'est le royaume des grandes cultures: céréales, colza, tournesol. Le temps est mauvais, les abeilles agressives. Elles fondent sur l'intrus, crépitant contre sa combinaison de coton et son voile protecteur. «Voilà des ruches populeuses, lance Martin Machado. Il y a quelques années, quand je les portais sur le tournesol, au bout d'une semaine, je pouvais me promener torse nu dans le rucher.»

Cela fait quinze ans que Martin Machado a choisi ce métier de "caractériel autodidacte", dit-il en souriant. Au début, 10% des abeilles mouraient chaque année. Le taux est passé à 25% ou 30%. Les récoltes se sont effondrées. Certains apiculteurs ont lâché prise. Les autres ont pris l'habitude de compenser les pertes tous les ans en achetant des reines. Cette année, le taux de mortalité est revenu à la normale. L'apiculteur pense que la suspension des insecticides Gaucho et Régent a joué un rôle, mais il ne crie pas victoire. «C'est encore trop tôt pour dire qu'on est tirés d'affaire, prévient-il. Le problème, c'est que nous ne sommes plus maîtres de rien. Les cultures changent, les molécules changent. Et en plus, maintenant, on a les facteurs climatiques qui viennent se greffer à tout le reste. La pluie et le soleil ne viennent plus jamais quand on les attend, déréglant la mécanique de précision de la ruche.»

Les apiculteurs sont aussi aux prises, depuis le début des années 1980, avec un parasite répondant au nom évocateur de Varroa destructor. Rond, rougeâtre, l'acarien - de 1 à 2 millimètres de longueur - suce l'hémolymphe des abeilles, l'équivalent du sang. C'était, à l'origine, un parasite de l'abeille asiatique, Apis ceranae. Cette dernière s'en était accommodée, développant la pratique de l'épouillage. L'histoire dit que l'acarien a été introduit en Europe au début des années 1980, par la faute de chercheurs allemands ayant importé des reines asiatiques. Mais il était présent en Russie au début des années 1950. Il a aussi voyagé au gré des échanges commerciaux de reines entre continents.

Cas d'école de ce que les scientifiques appellent les espèces "envahissantes", le "vampire de l'abeille" a rapidement conquis tous les continents. En dehors d'Apis ceranae, aucune espèce ne possède de parade contre lui. Sans traitement acaricide - souvent des produits chimiques - les ruches s'étiolent. Les apiculteurs parlent tous de l'époque "d'avant le varroa" comme d'un paradis perdu.

Les ruches de Boris Bachofen ne lui ont pas échappé. Elles hivernent dans un environnement des plus accueillants: un paisible verger du canton de Neuchâtel, en Suisse, où sont conservées cent soixante-quatorze variétés anciennes de poiriers. «Ici, ce n'est pas très chargé en produits chimiques», constate le jeune apiculteur. Pourtant l'année dernière, les trois quarts des colonies ont été anéanties. «Je n'ai rien fait de spécial, j'ai traité contre le varroa deux fois l'été et une fois l'automne. Mais peut-être que ce qui était suffisant avant ne l'est plus aujourd'hui», avance-t-il. Les scientifiques pensent que le varroa pourrait aussi transmettre des maladies aux abeilles.

L'abeille domestique est-elle une espèce en danger? On n'en est pas là. Mais son sort a de multiples raisons d'inquiéter. «C'est une pollinisatrice particulièrement efficace, explique Bernard Vaissière, qui dirige le laboratoire de pollinisation entomophile à l'INRA d'Avignon. Et elle est en train de disparaître de régions entières.» Voyant leurs ruches péricliter, les petits apiculteurs amateurs, qui contribuaient à maintenir partout la présence de l'espèce, sont de moins en moins nombreux.

Or la survie de 80% des plantes à fleurs et la production de 35% de la nourriture des hommes dépendent de la pollinisation. Aux Etats-Unis, ce marché a été évalué à 15 milliards de dollars. Certes, ni le blé, ni le riz, ni les pommes de terre n'ont besoin d'abeilles. Mais imagine-t-on un monde sans fruits, sans légumes et sans fleurs? Circonstance aggravante, les autres pollinisateurs ne s'en tirent pas mieux. «On a toutes les raisons de penser que quand l'abeille domestique a des soucis, c'est pire pour les espèces sauvages, car la colonie a un effet protecteur», explique Bernard Vaissière. Les spécialistes de l'abeille se sentent un peu seuls. «Nous vivons dans une société insectophobe», dit Francesco Panella. Pourtant, sans les insectes, rien ne marche. Ils sont la colonne vertébrale des écosystèmes terrestres. «Ce sont les grands oubliés du monde animal, déplore Marie-Pierre Chauzat, membre de l'équipe abeille de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Ils n'ont pas les grands yeux du panda, les belles plumes des oiseaux, la jolie fourrure des bébés phoques.»

Gaëlle Dupont ©Le Monde



Quand le capitalisme s'empare du vivant...

Par Hélène Baillot

paru dans la revue «Les autres voix de la planète» de Janvier 2010

OEBDans la livraison de la revue «Les autres voix de la planète», Hélène Baillot dresse le tableau de la bataille silencieuse, mais centrale qui se livre autour des changements intervenus dans la pratique du brevetage. Pendant longtemps, l'exclusion du vivant des brevets était une croyance incorporée, une sorte de tabou. Cette année, l'Office Européen des Brevets (OEB) devra statuer sur la brevetabilité des semences conventionnelles en Europe. Deux plantes sont concernées et font actuellement l'objet d'une demande de recours: il s'agit du brocoli et de la tomate ridée. Dans les deux cas, les brevets concernent non seulement les procédés de sélection traditionnels, mais aussi les graines et les plantes nouvellement obtenues. Si le recours est accepté, la décision risque de faire jurisprudence: un pas de plus dans une direction dangereuse. Cet article se propose de revenir sur l'histoire du brevetage du vivant et d'en cerner certains des enjeux fondamentaux, essentiellement dans une perspective Nord-Sud.


Histoire du brevet

Apparus en Europe, les brevets se développent durant le XIXe et le XXe siècle, leur rôle étant de récompenser la créativité humaine en offrant à leurs détenteurs un droit de propriété et un droit exclusif d'exploitation sur l'objet ou le procédé breveté pendant une période d'environ 20 ans. Mais, sans que les textes ne le mentionnent, «l'exclusion du vivant était comprise de manière tacite, comme une croyance incorporée ou un tabou qui ne saurait être transgressé. La gratuité du vivant et sa capacité infinie de reproduction empêchaient d'en concevoir l'appropriation» (1). Les plantes utilisées aujourd'hui à travers le monde sont pour une bonne part le produit du travail de sélection opéré durant des millénaires par les sociétés paysannes.

On comprend ainsi que les ressources génétiques de ces plantes aient été considérées pendant longtemps comme bien commun de l'humanité. Mais depuis une trentaine d'années ce tabou sur le vivant ne cesse d'être transgressé. La mise au point des techniques du génie génétique constitue un tournant majeur en permettant d'identifier, de spécifier, et de modifier la matière vivante, grâce à la molécule d'ADN. C'est ainsi qu'en 1982, la firme General Electric parvient à faire breveter un micro-organisme génétiquement modifié,la bactérie Chakrabarty. Le brevet concerne non seulement le procédé ayant permis d'obtenir la bactérie, mais aussi la bactérie elle-même.

La distinction entre choses brevetables et non brevetables ne passe plus entre les choses vivantes et les choses inanimées, mais entre les produits de la nature, vivants ou non, et les inventions produites par l'activité humaine, y compris vivantes (2). En 1998, l'Europe, après de longs débats et sous la pression des firmes pharmaceutiques et biotechnologiques, emboîte le pas aux États-Unis par l'adoption de la directive 98/44 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques (3).

Sans être l'objet de cet article, il faut insister sur un point, à savoir l'étendue très large de ces brevets. L'adoption des brevets de produits, et non plus seulement des brevets de procédés, confère à son possesseur la possibilité de contrôler toute utilisation future de son produit, y compris celles qu'il ignore encore: de «droit d'exploitation», il devient «droit d'exploration» (4). Ce phénomène est inquiétant pour nous tous, mais prend un relief particulier dans la perspective des relations Nord-Sud.


Gestion internationale des brevets et enjeux Nord-Sud

Un certain nombre de traités relatifs à la biodiversité et aux droits de propriété intellectuelle ont été signés. Mais tous ne poursuivent pas les mêmes objectifs. La Convention sur la biodiversité (CDB), signée lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, reconnaît le droit de souveraineté des états sur leurs ressources naturelles et leur laisse dès lors le pouvoir de déterminer, par une législation nationale, l'accès aux ressources génétiques. Mais cette Convention est rapidement remise en cause par la signature en 1994 des accords sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (APDIC). Ce texte international (5), signé à Marrakech, oblige les pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à se doter d'un système de protection de ces droits. L'article 27.1 stipule «qu'un brevet pourra être obtenu pour toute invention de produit ou de procédé». L'article 27.3(b), le plus critiqué, exige également la protection des obtentions végétales, mais donne aux membres de l'OMC le choix entre la protection par brevet, un système suigeneris (6) «efficace» ou une combinaison des deux. L'article 27.2 prévoit certaines exceptions au brevetage, mais dans la pratique on assiste à une interprétation très restrictive de ces exclusions.

En réaction, l'Organisation de l'unité africaine (OUA) a rédigé en 2000 une «loi modèle» sur «la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs et sur les règles d'accès aux ressources biologiques». Cette législation met en place un «système approprié d'accès aux ressources biologiques, aux connaissances et technologies des communautés sous réserve d'un consentement informé préalable de l'état et des communautés locales concernées» ainsi que des «mécanismes en vue d'un partage juste et équitable» des avantages tirés de l'utilisation commerciale de ces ressources. Cette loi reconnaît à l'agriculteur le droit de conserver une partie de sa récolte pour la replanter l'année suivante sans avoir à payer de redevance: «le privilège du fermier». En cela aussi, elle s'oppose aux APDIC dont les états n'ont de cesse de demander la révision, demande restée lettre morte.


Pays industrialisés et ressources génétiques

Aujourd'hui, l'immense majorité des brevets (environ 97%) sont accordés dans des pays industrialisés, alors même que l'immense majorité des ressources génétiques provient des pays intertropicaux; on estime que le Nord dépend du Sud jusqu'à 95% en ce qui concerne la matière première génétique de ses produits les plus importants (7). L'essor des biotechnologies a transformé les pays du Sud en un gigantesque terrain de prospection. Cette appropriation du vivant est considérée comme un acte de biopiraterie par les populations autochtones du Sud car elle conduit au pillage de leurs ressources naturelles et de leurs savoirs «traditionnels». Elles se retrouvent aussi dans l'obligation de s'acquitter de redevances pour des produits qu'elles utilisent depuis des générations.

curcumaLe développement des brevets favorise en outre la création de plantes OGM dont l'utilisation constitue une menace. C'est bien la richesse de la biodiversité du Sud qui pâtit actuellement de ce système, ce qui nous renvoie à la question d'une dette écologique due par le Nord - ce qui ne veut pas dire que les états du Sud sont davantage préoccupés par la conservation de leur biodiversité, souvent mise en balance avec le «développement». Les cas de biopiraterie sont nombreux. En 2006, l'Institut Edmonds, aux états-Unis en a répertorié 36'000 touchant des pays africains (8); et les Nations Unies calculent que celle-ci rapporte quelques 12'000 millions d'euros par an aux firmes pharmaceutiques. Un exemple: en 1995, l'université du Wisconsin a déposé quatre brevets sur la brazzein, une protéine au pouvoir sucrant deux mille fois supérieur au saccharose. Elle provient de la baie d'une plante poussant au Gabon. Depuis, plusieurs licences ont été accordées à des sociétés biotechnologiques dont l'objectif est d'introduire dans des fruits et des légumes un gène produisant la brazzein afin d'obtenir des aliments au goût sucré mais moins riches en calories.

De gros bénéfices sont à la clé pour les entreprises du Nord mais pas pour les paysans gabonais. Pourtant ceux-ci connaissent les propriétés de cette baie de longue date et ont contribué à l'entretenir de génération en génération (9). Ce cas n'a rien d'exceptionnel: l'ayahuasca, le quinoa et le sangre de drago, qui poussent dans les forêts d'Amérique du Sud; le kava, dans le Pacifique; le curcuma et le melon amer, en Asie ont d'ores et déjà été brevetés.


Inversion de la charge de la preuve

Théoriquement, les brevets peuvent être contestés et annulés. Mais dans la pratique, cela n'a rien d'évident. Il appartient en effet à celui qui s'oppose au brevet de prouver l'antériorité de son utilisation; c'est l'inversion de la charge de la preuve. De plus, la contestation des brevets coûte cher (200'000 dollars aux États-Unis) et nécessite de longues années de procédures et d'expertise juridique. Certains brevets ont certes été rejetés: par exemple, celui de Ricetec sur le riz Basmati, un brevet sur une variété de quinoa, un autre sur la poudre du Turmeric, une plante médicinale indienne. Une autre affaire remonte à 1994, lorsque Larry Proctor, dirigeant d'une entreprise semencière aux États-Unis, en vacances au Mexique, découvre une variété de haricots jaunes très prisée des Mexicains. Il en rapporte alors un sac aux États-Unis, prétend en avoir fait une sélection, et dès 1999 obtient un brevet sur tout haricot de couleur jaune, bloquant alors les exportations mexicaines. Ce brevet lui a été retiré l'an passé. Malgré ces quelques victoires, les pays du Sud restent les grands perdants de ce système; certains, comme Vandana Shiva, voient alors dans les brevets un instrument de conquête néocoloniale, «prolongeant les privilèges accordés à Christophe Colomb» (10). Mais plus que «le Nord», ce sont surtout les grandes firmes appartenant aux domaines de la biotechnologie et de la pharmacie qui en sont les principales bénéficiaires. Les risques de voir émerger des monopoles dans des secteurs tels que la santé et l'alimentation sont alarmants d'autant plus que l'on constate une forte augmentation des demandes de brevet touchant à des plantes conventionnelles.

En 2008, ce sont près de 500 candidatures qui ont été déposées, représentant 25% de la totalité des dossiers déposés cette année-là, contre 5% seulement en 2002 (11). La question des brevets renvoie ainsi à des enjeux fondamentaux: biodiversité, développement, santé et alimentation. Plus que la gestion des brevets à l'échelle internationale, ce sont les brevets eux-mêmes qui sont aujourd'hui à remettre en cause lorsqu'ils touchent au vivant.

©CADTEM

Références:

  1. Poudre aux yeux des OGM !   -   Le Monde Diplomatique nov. 2006
  2. Geneviève Azam, «Les droits de propriété sur le vivant», Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 10: Biens communs et propriété, mis en ligne le 07 mars 2008, Consulté le 05 septembre 2009. URL: developpementdurable.revues.org

  3. Maurice Cassier, «L'extension du capitalisme dans le domaine du vivan: droits de propriété intellectuelle et marché de la science, de la matière biologique et de la santé», Actuel Marx 2003/2, n° 34, p.63-80.

  4. La directive est disponible à l'adresse suivante: eur-lex.europa.eu

  5. CORIAT B., 2002a, «Du Super 301 aux TRIPS: la vocation impériale du nouveau droit américain de la propriété intellectuelle», Revue d'Économie Industrielle, n°99.

  6. Texte disponible sur le site de l'OMC à l'adresse: wto.org

  7. Législation propre à un pays.

  8. Laurence Roudart, «Appropriation des ressources génétiques végétales, implication pour les relations Nord-Sud et la sécurité alimentaire», Monde en développement, Tome 30, 2002.

  9. Jay McGown, Out of Africa: Mysteries of Access and Benefit Sharing, Washington: Edmond Institute, 2006 sur: edmondsinstitute.org

  10. Robert Ali Brac de la Perrière et Franck Seuret, «l'Afrique refuse le brevetage du vivant», Le Monde Diplomatique, juillet 2000

  11. Vandana Shiva, La biopiraterie ou le pillage de la nature et de la connaissance, Paris:Alias, 2002

  12. No patents on seeds Coalition, The future of seeds and food under the growing threat of patents and market concentration, avril 2009, disponible sur: no-patents-on-seeds.org

Article fourni par: CADTM

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