Le Journal de Pully
Le libéralisme, terreau des sectes ?
Eh bien oui ! nous chantent en choeur MM. Pierre Schmid et Alain Dupraz dans "La lutte syndicale" du 11 octobre dernier.
Toujours à l'affût des dysfonctionnements du système libéral qui nous entoure, les deux chroniqueurs n'hésitent pas à attribuer aux errements du libéralisme les angoisses profondes qui envahissent maints individus et qui les poussent à se réfugier dans le cocon réconfortant et hypocritement chaleureux de sectes, d'obédience plus ou moins ésotérique. Le drame du Temple du Soleil n'a fait qu'amener de l'eau (bénite!) à leur moulin anti-libéral.
Pour Pierre Schmid, "si les agissements des sectes libérales ont provoqué des ravages considérables dans la vie sociale et économique, cela ne semble pas servir de leçon à nombre de politiciens et pseudo-théoriciens de l'économie de marché". Quant à son collègue Alain Dupraz, constatant que "la démocratie peut flancher sous les coups des puissants, économiques et politiques", il demande "de faire contrôler systématiquement par d'autres l'initiative individuelle". Ces deux professions de foi sont dangereuses à un double titre : d'une part, elles jettent une fois de plus l'opprobre sur l'économie de marché qui est pourtant le seul système à pouvoir assurer la viabilité d'un Etat social digne de ce nom, et, d'autre part, elles assènent, sous prétexte de vouloir préserver la liberté humaine, un nouveau coup sur cette même liberté, selon le sophisme inoxydable depuis Jean-Jacques Rousseau que la liberté doit être brimée pour pouvoir s'épanouir.
Nous ne contestons évidemment pas que la liberté individuelle doit souffrir de multiples cautèles. Mais ce dont les collaborateurs de l'organe syndicaliste ne s'aperçoivent pas, c'est que leurs attaques débouchent sur une inversion du raisonnement qui a forgé notre force : ce n'est plus la liberté qui doit être aménagée selon un processus démocratique, mais on anticipe sur les abus de celle-ci, et on en appelle ainsi à un corset réglementaire qui, à terme, ne peut qu'étouffer cette liberté qu'on prétend préserver. La liberté implique un certain nombre de conséquences, comme la liberté d'entreprendre, d'après les lois du marché, la liberté d'association et la liberté de conscience. II faut les admettre comme principes de base, à corriger, si nécessaire, dans un second temps seulement. Refuser l'économie de marché et exiger un contrôle systématique de l'initiative privée violent ces principes. On peut certes fixer un cadre général susceptible d'orienter la liberté vers le bien commun, mais le contrôle concret ne peut intervenir que par le biais de la sanction, et non a priori. Qui peut juger souverainement que telle initiative est conforme au bien de tous ? Certains régimes totalitaires, fidèles à l'enseignement rousseauiste, avaient leurs réponses...Olivier Meuwly - Le Régional du vendredi 18 novembre 1994 n°46
Sois entrepreneur, pas patron!
De nos jours, la contradiction tient souvent lieu de discours politique.
Dans la frénésie de l'immédiat dans laquelle nous a transportés la civilisation de l'image, on ne se soucie plus guère de continuité dans la réflexion. L'économie est bien entendu assise aux premières loges du grand bal des contradictions dans lequel se meut la vie politique. Et l'une d'elles l'emporte tout particulièrement sur les autres: un politicien digne de ce nom ne peut émettre un son sans souligner sa préoccupation angoissée quant à l'avenir des PME... La gauche est même parvenue à aller un cran plus loin, puisque à son prétendu intérêt pour ces PME, qu'elle combat systématiquement par une politique sociale irréaliste, elle a ajouté une nuance qui tend à scinder l'entrepreneur du chef d'entreprise! Que l'on aide l'entrepreneur, courageux, innovateur, "créatif" mais en même temps que l'on honnisse le chef d'entreprise, toujours présenté comme ce patron, digne héritier des magnats du temps jadis et vil exploiteur ! Et dans les temps de crise et de frustration que nous vivons, et qui ont trouvé leur exutoire dans la révision de la Loi sur le travail, le rejet du patron se combine à une action destinée à miner les fondements de l'économie de marché.
Les exemples se multiplient qui confirment nos observations. Nous ne nous étalerons pas sur le mythe auquel ont recouru les adversaires de la Loi sur le travail pour décrire le chef d'entreprise qui est censé redonner à notre économie anémiée: leur Dracula se passe de commentaire... Plus graves sont les attaques, en provenance de la gauche, contre une économie régie par le marché : là, le "patron" sanguinaire se voit retirer la substance même de son activité d'entrepreneur. Ainsi, récemment, un important leader syndicaliste se fendait-il d'un article, où il soulignait la primauté de la propriété pour mieux la mettre sous la coupe de l'État, seul à même, selon ses dires, de la répartir de la façon la plus "judicieuse" possible. Cette approche vise évidemment à discréditer le rôle de la concurrence dans la création des richesses et, dans cette offensive, le syndicaliste peut s'enorgueillir d'une cohorte grandissante d'alliés, avec en tête le professeur Albert Jacquard, qui répétait récemment à Genève sons refus de la compétition.
A quoi doivent mener ces escarmouches réitérées comme l'économie de marché ? A montrer combien on a raison de fustiger l'"ultralibéralisme" ? Sans doute. Mais il y a peut-être d'autres explications. Après l'effondrement du communisme et face à l'impéritie manifestée par la social-démocratie dans le redressement de l'État providence, la gauche moderne éveille l'impression d'un profond désarroi. Elle semble vouloir replonger dans l'arsenal ancien de la lutte contre le capitalisme, pour montrer sa vitalité, et paraît ainsi attendre son salut d'une troisième voie, ni libérale, ni marxiste, mais empreinte de "vrai socialisme". Hélas, cette noble ambition risque, comme l'histoire le rappelle, de déboucher sur un vide béant : on a pu améliorer, et humaniser, le libéralisme ; on n'a jamais pu rendre utilisable - le socialisme illibéral. Au XIXe siècle, certains penseurs avaient esquissé une "autre" politique pour la gauche : c'était l'anarchisme, et il ne s'imposa jamais...Olivier MEUWLY - Vendredi 11 avril 1997
Nouvelles formes de travail et conséquences sociales
Il est beaucoup question ces temps des nouvelles formes de travail, qui surgissent au gré des conditions économiques désormais imposées aux entreprises, et des conséquences qu'elles peuvent entraîner sur la sécurité sociale des travailleurs et, bien sûr, sur son financement. Il est fréquent d'entendre, et de lire, que cette évolution est essentiellement téléguidée par les entreprises et qu'elle ne fait que précariser un peu plus un marché de l'emploi déjà fortement secoué.
Cette analyse nous paraît trop sommaire et, à nos yeux, fait peu de cas de la transformation des mentalités, non seulement des chefs d'entreprise mais aussi des travailleurs eux-mêmes, qui souhaitent souvent retrouver dans leur vie professionnelle la liberté d'action qu'ils ont découverte dans tous les autres secteurs de l'existence. Certes, on ne peut nier que la gestion des entreprises a beaucoup changé, qu'à des structures très centralisées se sont substituées des organisations plus souples, empreintes d'un vif esprit de délégation. II est vrai aussi que les coûts fixes et l'explosion des charges sociales ont plutôt encouragé le patronat à fuir les contraintes de plus en plus oppressantes du travail salarié, pour se tourner vers des formes moins contraignantes, leur permettant de recourir à des collaborateurs selon des objectifs précis, sur des périodes limitées, sans devoir assumer leur entretien le reste du temps. Evidemment, la sécurité sociale devra s'adapter à ces développements, inéluctables.
Cependant, n'ayons pas peur de le répéter, ces bouleversements structurels au sein des entreprises ont aussi été sollicités par les individus ; une réalité trop souvent occultée. Alors que leur carrière professionnelle ne se situe plus forcément au centre de leurs préoccupations et que les vertus du travail reçoivent des définitions de plus en plus différenciées, nombre de personnes ont distingué dans le travail indépendant, moins fermement rattaché à la structure rigide de l'entreprise, une liberté accrue dans leur emploi du temps, ne serait-ce que dans la répartition des tâches ménagères et familiales. Ces dernières, grâce également aux progrès de l'informatique, ont, dans la foulée, magnifié le travail à domicile ; un type d'activité qui, d'ailleurs, laisse déjà transparaître quelques vices regrettables : il semblerait que la quasi-fusion entre lieu de travail et vie privée puisse provoquer des perturbations psychologiques non négligeables...
La réforme de la sécurité sociale devra donc aussi tenir compte des nouvelles aspirations des citoyens avant d'imaginer un nouveau système d'assurances. Mais, vu la façon dont le débat a été lancé, où les entreprises paraissent siéger seules sur le banc des accusés, on peut craindre le pire : elles risquent une fois de plus de devoir payer pour des changements d'habitudes qu'elles ne sont pas seules à maîtriser !Olivier Meuwly - Vendredi 08 décembre 1995
La protection de l'air vicie la démocratie
A la fin du mois de janvier s'est achevée la consultation sur la révision de l'Ordonnance sur la protection de l'air. Cette révision, d'apparence technique, pourrait toutefois revêtir rapidement une valeur symbolique dans la production juridique de la Confédération. Car derrière le vocabulaire souvent abscons auquel ont recouru les auteurs et le caractère complexe dont s'enrobent naturellement les normes sur la protection de l'air, se dissimulent une foule de chausse-trappes, toujours prêtes à désarçonner le lecteur. Celui-ci croit-il découvrir dans l'ordonnance des règles d'application nouvelles susceptibles de faire bénéficier les "surveillants" de l'air des dernières inventions technologiques ? Non point ! Désormais, dans la philosophie des gardiens de la pureté de l'air, l'ordonnance doit corriger ce que la loi n'avait pas osé instituer !
En fait, la présente révision, chargée de l'application de la Loi sur la protection de l'environnement amendée l'an dernier, met une fois de plus en évidence les dysfonctionnements, voire les errements, de notre démocratie, ainsi que la mainmise de plus en plus prononcée de l'administration sur le processus législatif. Avant de promulguer l'article 44a de la nouvelle loi, relatif aux plans de mesure, le Parlement avait pris soin de l'expurger de certaines déviances extrémistes qui la menaçaient. Il avait ainsi reconnu que toutes les émanations ne pouvaient être annihilées complètement et que la propreté de l'air demeurait un objectif vers lequel on doit tendre. Or, la nouvelle génération des fonctionnaires de l'Office fédéral de l'environnement ne peut plus tolérer de telles hérésies, abcès purulents sur le dogme de l'éther immaculé. Que faire alors ? Changer à nouveau la loi ? Trop long, bien entendu et, qui sait?, quelque lobbyiste de l'automobile aurait pu s'étonner de cette hâtive démarche... Non, le système suisse leur réserve une solution des plus élégantes : modifier, en catimini, l'ordonnance d'application, en dehors des canaux législatifs traditionnels ! Ce scandale pose deux problèmes.
Nous n'insisterons pas sur l'illusion d'un air à la pureté éternelle, du gaspillage 0, qui fleure le romantisme écologiste le plus exécrable, tant le second problème que soulève la nouvelle ordonnance nous apparaît encore plus vicieux. Au-delà de l'utopie écologiste, c'est le système démocratique qui se trouve en danger. L'ordonnance n'a pas à remodeler la loi selon ses convenances, à l'abri de tout contrôle politique. Au seul Parlement, incarnation du pouvoir politique, ressortit la fixation des orientations que l'administration doit mettre en oeuvre. Aussi, vu l'abus dont est victime l'ordonnance, il sied de rétablir l'autorité du Parlement sur cette catégorie normative. Le système zurichois incite le Législatif à se prononcer sur les règlements du Conseil d'État qui modifient la loi ; c'est une possibilité intéressante. Mais à ce mécanisme assez lourd, nous préférons le système du recours: à la demande d'un parlementaire ou d'un groupe de parlementaires, le Parlement, ou une de ses commissions spécialement habilitée à cette tâche, pourrait être saisi sur une ordonnance en tant que telle, estimée non-conforme à la loi. Il est urgent de reconstruire la cohérence du système démocratique ; sinon, la liberté, d'abord économique, puis individuelle, sera en péril !Olivier Meuwly - Vendredi 09 mai 1997
Le travail est-il en train de changer ?
Depuis une trentaine d'années, les réflexions se succèdent sur la notion de travail : constitue-t-il vraiment une valeur indispensable pour l'individu ? Ne devrait-il pas être séparé de toute connotation économique pour être voué à l'exclusive intégration des individus dans la société ? Ne devrait-il pas être largement redistribué, avec une forte diminution du temps de travail à la clé, pour permettre aux gens de s'adonner à des occupations non productives, sans pour autant sacrifier leur assise matérielle ? Et ces questions ont revêtu une acuité plus vive encore avec la crise économique et l'explosion du chômage. Un leitmotiv s'est d'ailleurs emparé des esprits : le travail a été longtemps méprisé, notamment dans l'Antiquité, et n'a été vénéré comme valeur cardinale de la société qui depuis peu, au maximum deux siècles. Et les partisans d'un travail remis à sa "juste place" de déduire de ce postulat que le symbolisme social qui entoure le travail, si neuf, pourrait ne signifier qu'une parenthèse dans l'histoire de l'humanité et que l'on pourrait retourner à une attitude moins respectueuse envers ce dieu-travail, aujourd'hui si peu prodigue. Le travail pourrait donc être découplé de son contexte économique.
Une telle analyse brille en fait par son simplisme. Dans l'Antiquité, le peu d'estime que l'on portait au travail n'impliquait nullement que l'on pouvait s'en passer... II fallait bien que des bras s'activent pour que les grands bourgeois d'alors puissent vaquer à leurs occupations favorites, vaticiner sur la misère du monde. Et n'oublions pas que les figures mythiques de la République romaine étaient toujours des hommes modestes et durs au labeur ! Quant à l'érection du travail en valeur civilisatrice au XIXième siècle, elle découle directement de l'introduction progressive du principe d'égalité dans la pensée politique et sociale moderne. Le triomphe de la liberté individuelle et de l'égalité a induit un changement profond des comportements humains : à la structure sociale hiérarchisée de l'Ancien Régime succédait une vision de la société où l'autonomie individuelle fut hissée au rang de dogme.
Dès lors, l'homme, libéré des entraves du passé, émancipé, rendu à lui-même, s'est vu contraint d'oeuvrer seul, à l'abri des réseaux de solidarité ancestraux, à son indépendance économique. Logiquement, le travail tendit à devenir son souci majeur, car seul apte à lui fournir son pain quotidien. Selon nous, le rôle du travail dans la société moderne est donc davantage dû à la montée de l'égalitarisme qu'aux uniques exigences du libéralisme. Ce constat expliquerait aussi pourquoi la Suisse a toujours accordé une place essentielle au travail : notre pays a connu un système républicain bien avant ses puissants voisins ! Dans ce contexte, il ne sera pas simple de dénicher un palliatif au travail comme facteur de subsistance. Par quoi le remplacer ? Par un salaire "d'État" ? Alors apparaissent des problèmes quant à la liberté individuelle ? Seul le travail peut créer des richesses. A moins que l'on ressuscite les solidarités d'antan...Olivier Meuwly - Le Régional du 28 février 1997
De l'anarchisme à l'écologisme
Le postulat assimilant l'écologisme moderne, du moins dans sa version la plus extrémiste, à l'anarchisme soulève souvent le scepticisme. Rares sont ceux qui osent comparer nos défenseurs de l'environnement les plus farouches aux poseurs de bombes de la fin du siècle dernier, les considérer comme les petits-enfants de Netchaev et de Bonnot. Un tel raccourci abuserait évidemment la réalité historique et politique. Tous les anarchistes n'ont pas usé du revolver pour expliquer la nécessité de la grande révolution... mais tous les écologistes n'ont pas en vue que la protection de la forêt amazonienne ! L'écologisme représente surtout une doctrine de vie, qui englobe l'existence humaine dans toutes ses composantes ; il fixe de nouvelles priorités, une nouvelle philosophie du travail et de la production, une nouvelle définition de la liberté, une nouvelle approche du gouvernement des hommes. Le fond commun des écologismes (le pluriel s'impose de plus en plus) est certes à rechercher dans la cassure soixante-huitarde - ce point n'est guère contesté - mais leurs origines plus profondes s'égarent souvent là où on ne s'y attend pas. D'où l'intérêt de se plonger dans l'histoire trouble de l'anarchisme !
C'est le mérite du dernier ouvrage du philosophe et historien de Besançon Jean Préposiet de nous rappeler les filiations flagrantes entre l'écologisme alternatif et la vaste mouvance anarchiste, qui avait elle aussi déclaré la guerre à la société industrielle et productiviste de laquelle ni la droite bourgeoise et républicaine, ni les socialistes, ni les communistes fidèles à l'enseignement marxiste n'avaient réussi à sortir. Dans son "Histoire de l'anarchisme" (Taillandier 1983), l'auteur brosse un tableau aussi prégnant que concis des diverses tendances de cette philosophie, de Stirner à Malatesta, en passant par Bakounine, Proudhon et Kropotkine. Jean Préposiet distingue des caractéristiques anarchisantes chez les écologistes "défenseurs intransigeants de l'environnement, ceux qui refusent catégoriquement d'entrer dans les arcanes du jeu politique, qui "décident" d'agir en dehors des règles politiques établies", bénévolement et concrètement, et qui se regroupent en des associations autonomes composées de simples citoyens et visant des objectifs précis. N'hésitons pas à prolonger la conclusion de l'écrivain bisontin : leur passion des droits populaires compris dans le sens le plus extensif possible, de l'antimilitarisme et de l'égalitarisme libertaire les classe indubitablement dans le cercle de nouveaux anarchistes !
Peut-être pourrait-on reprocher à Jean Préposiet de n'avoir pas approfondi davantage son étude des sources de l'anarchisme, et par conséquent de l'écologisme. En tant que réaction radicale à l'industrialisation et au matérialisme engendrés par les révolutions économique et politique de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'anarchisme connaît en effet un illustre prédécesseur dans le romantisme, première manifestation d'opposition au modernisme des Lumières, qui est à peine effleuré dans l'ouvrage. Son analyse y aurait gagné en ampleur et aurait constitué le complément indispensable à l'étude de Luc Ferry, qui dans son excellent "Nouvel ordre écologique" (Grasset 1992), est allé se promener plus à fond dans les soubassements idéologiques, psychologiques et historiques de la pensée écologiste actuelle.Olivier MEUWLY ex-secrétaire de l'USAM - Le Régional du 1997
Compétition et compétitivité
La flamme olympique de Lillehammer s'est consumée ; les champions, couverts de gloire, ont regagné leurs pénates, où les attendait une foule en délire ; les vaincus ont ravalé leur amertume, aiguisant déjà carts et lames pour dans quatre ans. Les cascadeurs des neiges pansent leurs blessures, les patineuses se reposent de leurs vrilles endiablées. Pendant deux semaines, titres, médailles et dollars ont été distribués ; les ego nationaux ont fait le plein d'émotions. Pendant deux semaines, un mot a perlé sur les lèvres des athlètes et accompagnants : gagner ! Être meilleur que les autres, briller, si possible avec fair-play, telle fut l'obsession du peuple sportif réuni en Norvège.
Or, avant de se lancer dans une compétition sportive, il convient de s'y préparer, d'améliorer sa compétitivité. Et ce qui est nécessaire pour un jeu, pour un combat ludique, s'impose également dans les autres activités humaines, conformément à un réflexe dont l'être humain n'a pu se départir depuis sa création; un réflexe génétiquement enfoui dans nos pulsions : le besoin de se mesurer aux autres, plus ou moins pacifiquement, affirmer son identité par un combat direct avec les autres. La compétition appartient intrinsèquement à l'esprit humain, déprimante par le stress qu'elle suscite mais aussi terriblement stimulante par le sentiment d'éternité qu'elle insuffle à l'homme, inexorablement aspiré vers une mort qu'il veut défier. Agir, progresser, crier sa force pour fuir le vide : voilà les moteurs de l'existence humaine, imprégnée de la fatalité ou de la joie, de la compétition, selon ses états d'âme.
L'économie n'échappe évidemment pas à cette quête de l'accomplissement pour braver le néant. Activité humaine par excellence, elle reproduit dans la vie de tous les jours cet esprit de compétition, transcendé, et loué, pendant les Jeux Olympiques, reflet du quotidien, reflet de la vie. Aussi un soutire navré ne peut-il que nous tordre la bouche lorsque l'on entend les écologistes suisses nous susurrer qu'ils appellent de leurs voeux un monde, en particulier économique, débarrassé de la compétitivité, à leurs yeux curieusement myopes, si inhumaine. Ils se déclareraient cependant prêts à la tolérer si ses fruits étaient équitablement répartis entre tous...
Ce romantisme exacerbé nous paraît en complet décalage avec la réalité humaine : à quoi cela sert-il d'inventer, de trouver des solutions désaliénant l'individu de travaux pénibles, d'enrichir l'humanité de découvertes plus propres, plus belles, si l'on n'a plus le droit d'en tirer quelques modestes bénéfices ? D'autres sociétés ont tenté d'éradiquer l'intérêt des pulsions humaines "dégradantes" pour lui substituer le mythe égalitaire et soi-disant plus humain : on voit le résultat, en particulier dans l'ex-Europe de l'Est. Tout progrès n'est pas forcément mauvais ! Les écologistes, aujourd'hui héritiers de cette philosophie, prétendent ne pas refuser en tant que telle la croissance, à condition qu'elle englobe également les facteurs écologiques et sociaux, et pas uniquement le produit intérieur brut. Pourquoi pas : mais peut-on vraiment croire en leur bonne foi quand ils lient croissance et économie de marché à un rejet de la compétitivité ? C'est difficile. Sans doute faut-il redéfinir les objectifs de la croissance, repenser à bien des égards notre système libéral, mais pas avec les recettes écologistes. Les acquis sociaux de ces trente dernières années, rendus possibles par une économie prospère, n'y résisteraient pas.Olivier Meuwly Secrétaire USAM - Journal de Pully du 15 avril 1994
École : pour un retour de l'autorité
Un vaste débat mobilise l'Allemagne : et si nombre des problèmes qui assaillent les jeunes Allemands - mal-être chronique, recrudescence de la violence - n'étaient pas issus d'une dérive de l'éducation scolaire ? Les principes libertaires nés de la révolte soixante-huitarde n'auraient-ils pas inoculé un virus destructeur dans le système éducatif traditionnel ? Et si la liberté, cette liberté que nous chérissons tous, n'avait pas dégénéré en un désastreux "laisser faire", antichambre d'un chaos angoissant ?
Il est vrai qu'une refonte de l'instruction publique dans un sens moins contraignant, plus souple, plus adapté aux spécificités de chacun, ne manquait pas de charme. Enterré, l'autoritarisme à Papa ; vive la liberté émancipatrice ! Dans cette recherche d'un développement le plus harmonieux possible pour l'enfant, le recours à une liberté totale paraissait un passage obligé, le sésame vers la fabrication d'un homme nouveau, débarrassé de ses pulsions petites-bourgeoises. N'était-ce pas injuste de brimer ces petits êtres, encore vierges des miasmes de la société, dans un carcan étouffant ? L'"Emile" de Rousseau connaissait une deuxième jeunesse...
Hélas, ce discours a fini par gangrener la société occidentale au-delà du concevable. La permissivité que s'est installée un peu partout a débouché sur un rejet pro fond de toute forme d'autorité, a créé une génération, peut-être lavée de certains tics du passé, mais surtout déboussolée, errante, où l'altruisme et le respect d'autrui n'ont plus beaucoup droit de cité. Les conséquences s'étalent sous nos yeux... et à la une des journaux : l'égoïsme ne cesse de croître, et s'accompagne parfois d'une violence sourde, contre soi ou contre les autres, notamment contre les étrangers. La quête d'un juste milieu devenait décidément urgente !
Les Allemands, hypersensibles à toute résurgence de la haine xénophobe, commencent à s'inquiéter sérieusement : et si l'angélisme défendu par certains maîtres ne se transformait pas, chez les élèves, en une suite de désillusions, avec la violence à la clé ? Mais ce débat nous interpelle nous aussi, où le mal gagne du terrain. La vie n'est pas l'exutoire d'une liberté sans contrôle. La rigueur et la raison sont nécessaires pour s'accomplir; et ces deux vertus peuvent s'apprendre à l'école, mais pas dans le laxisme. Une école plus stricte soutiendrait également davantage les parents dans leurs efforts éducatifs. L'école doit préparer les enfants à affronter les duretés de l'existence, pas à sombrer sous la pression de leurs envies aussi passagères que dûment entretenues par certains éducateurs...Olivier Meuwly - Vendredi 17 décembre 1993 N° 50 Page 2
La crise actuelle est-elle la crise du système ?
Le moral de la Suisse donne présentement de sérieux signes de fléchissement ; personne ne nous contredira.
Tous les observateurs de la vie politique, économique et sociale de notre pays se perdent en conjectures sur les raisons du mal. A des causes purement conjoncturelles s'ajoutent des causes structurelles, qui, en définitive, aggravent encore le diagnostic et le malaise des médecins de circonstance. II est vrai que l'économie n'est pas la seule à traverser une mauvaise passe : toute la société est enferrée dans un tissu de contradictions dont elle a beaucoup de peine à s'extirper, et qui provoquent une vaste remise en question de tous les progrès enregistrés depuis un demi-siècle. Gagnée par une subite ivresse, notre société titube et manque de trébucher sur ses propres succès.
Quand le climat se détériore, un seul réflexe guide mécaniquement le piéton surpris par l'averse : chercher refuge sous le premier toit venu, sans savoir vraiment s'il sera hospitalier. En politique, en cas de difficultés, les attitudes sont identiques : on se calfeutre et on quête une protection supérieure, bienfaisante, sans se demander si elle n'abusera pas de notre subite confiance. En politique, l'état fait en général office de "deus ex machina". D'autres vont encore plus loin et se piquent naïvement de vouloir "abolir" le mauvais temps, qui entrave le cours paisible de l'existence, au grand dam des réalités météorologiques. Sur le plan économique, ces "destructeurs utopistes" ressortent pour la énième fois de la mémoire historique de l'humanité le mythe romantique du bonheur éternel, protégé de l'ignominie d'humains pervertis par le matérialisme carnassier. Le beau temps éternel ! Ils s'attaquent à la croissance, au libéralisme et rêvent d'une société codifiée, uniformisée, soi-disant pure. Pure comme dans une dictature où tous les moments de la vie seraient réglés comme sur du papier à musique . . .
Notre drame actuel, c'est que justement de plus en plus de citoyennes et de citoyens se laissent appâter par cette vision "rose bonbon" d'un monde sans aspérité, donc parfait. Et la tentation de rejeter tout ce qui a assuré notre prospérité jusqu'à aujourd'hui, sous prétexte que cela nous a conduits à la décadence, cède vite le pas, chez certains, à une haine de tout ce qui s'apparente de près ou de loin à cette société soudain démonisée. A la phobie de l'économie de marché succédera alors le dégoût de l'État (bourgeois !) et de ses institutions classiques (armée, démocratie parlementaire, etc.). Ce processus n'est pas nouveau et a pris des formes diverses au cours de l'histoire récente : le communisme, à tendance antimilitariste et anarchiste, ou, à l'autre extrémité, le fascisme, tout aussi anticapitaliste que son contraire, mais façonné selon des préceptes racistes. L'écologisme dur en est l'ultime avatar.
Ce piège, nous devons à tout prix en prévenir nos concitoyens. Il ne faut pas hésiter à leur rappeler que ces délires idéalistes, si doux et réconfortants en temps de crise profonde, ont mené l'humanité aux catastrophes les plus horribles. L'espoir réside dans une liberté bien comprise, telle qu'elle a été conceptualisée dans notre démocratie libérale. Et ce système ne peut survivre que si l'on sait raison garder, si l'on se préserve d'un révolutionnaire et aveugle "il n'y a qu'à tout changer, on verra ce qu'il en sort après". Le libéralisme a des avantages et des inconvénients bien entendu. Mais corriger ses défauts ne signifie pas l'assassiner !Olivier Meuwly
Journal de Pully vendredi 13 août 1993 Pg.2
Contre un certain terrorisme écologique
l'appel de Heidelberg
Le battage médiatique organisé autour du Sommet de Rio, de ses pompes et de ses oeuvres, a presque entièrement occulté l'appel de Heidelberg lancé par quelques-uns des grands savants internationaux à l'adresse des autorités responsables du destin de notre planète.
Il est vrai que cette démarche a revêtu un caractère moins spectaculaire que l'attribution de la Croix verte à M. Gorbatchev pour son action en faveur de l'environnement (merci pour l'assèchement de la mer d'Aral, la mort programmée du lac Lagoda, la contribution à l'asphyxie par les nitrates de la Baltique et l'état catastrophique de dizaine de centrales nucléaires équipées de réacteurs de type Tchernobyl).
Signé par deux cent soixante-quatre scientifiques et intellectuels, dont une cinquantaine de Prix Nobel, l'appel de Heidelberg met en garde contre l'émergence, à l'aube du XXIe siècle, d'une "idéologie irrationnelle qui s'oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social". Les signataires affirment que "l'état de nature, parfois idéalisé par des mouvements qui ont tendance à se référer au passé, n'existe pas et n'a probablement jamais existé depuis l'apparition de l'homme dans la biosphère, dans la mesure où l'humanité a toujours progressé en mettant la nature à son service et non l'inverse". Ils se réclament d"une écologie scientifique axée sur la prise en compte, le contrôle et la préservation des ressources naturelles"; mais ils demandent formellement que cette triple démarche soit fondée "sur des critères scientifiques et non sur des préjugés irrationnels". Ils mettent aussi en garde contre "toute décision qui s'appuierait sur des arguments pseudo-scientifiques ou sur des données fausses ou inappropriées". Pour eux, les plus grands maux qui menacent notre planète sont l'ignorance et l'oppression, non la science, la technologie ou l'industrie.
Cet appel vient à son heure et mérite une large publicité, même s'il contient quelques passages aux accents naïvement scientistes.
On ne compte plus en effet, les erreurs ou les approximations scientifiques imputables à cet "écologisme irrationnel" que le démographe français Hervé le Bras, présent à Heidelberg, qualifiait si justement de "paraphrase dogmatique de la science, comme l'astrologie pour l'astronomie" : mort de la forêt suisse, annoncée en 1983 et bientôt démentie par l'inventaire des dégâts; fonction de "poumon de la terre" attribuée à la forêt amazonienne, mais déniée aujourd'hui par des experts qui soulignent le fonctionnement eminemment "égoïste" de cette forêt, sans incidence sur l'environnement mondial ; trou d'ozone et tempête de rayons ultraviolets sur la Suisse programmés par nos médias pour un certain mercredi de février dernier. Jusqu'à la protection totale du héron cendré qui ne fait plus l'unanimité : le conseiller d'Etat vaudois Jacques Martin n'a-t-il pas dénombré, l'autre jour, trente-deux de ces volatiles en train de pêcher sur cent mètres de rives du Grand-Canal à St. Triphon, au grand dam des pêcheurs ?
A Rio, le président Bush a refusé de jouer les idiots utiles : il n'a pas voulu payer le prix jugé exorbitant d'un certain nombre de programmes dont la fiabilité reste encore à démontrer. Il serait temps que le Conseil fédéral, dans sa lutte pour la protection de l'environnement, commence lui aussi à se distancer de modes et de mots d'ordre diffusés par des groupes de pression aussi transnationaux que puissants.Jean-François Cavin, Centre Patronal Vaudois
JOURNAL DE PULLY Vendredi 24 juillet 1992
Le Communisme persiste et signe
réquisitoire accablant !
Nos communistes suisses, camouflés sous le nom de popistes, sont déconcertants. Avec un aplomb sans pareil, tandis que le modèle de société à laquelle ils aspirent s'écroule partout dans le monde, ils persistent à affirmer que l'idéal communiste est toujours vivant... à défaut d'être vivace, serait-on tenté d'ajouter !
Une telle attitude prêterait en effet à sourire s'il ne se trouvait pas une frange non négligeable de la population à croire encore dur comme fer en "l'idéal communiste". Marx et Lénine, magiciens merveilleux ! Méprisés par la moitié de l'humanité qui a dû subir vos théories, vous parvenez toujours à fasciner des pans entiers de l'autre moitié... qui n'a contemplé votre échec que par téléviseur interposé ! Quel philtre avez-vous donc jeté dans votre philosophie pour aveugler à ce point des milliers de personnes, pour les persuader que le marxisme peut être source de justice sociale ?
Tartuffes de haut vol, nos communistes se pavanent, clamant urbi et orbi que seul le socialisme autoritaire a trépassé, mais que l'irénique communisme, lui, resplendit, totalement vierge de son lugubre passé. Hallucinant ! Quand l'hypocrisie cessera-t-elle ? Comment peut-on oser cracher ainsi à la figure de l'Histoire, et inventer de byzantines nuances pour différencier le régime totalitaire de l'URSS et l'égalitarisme socialiste de Marx ? Que devra-t-il donc nous arriver pour qu'ils comprennent enfin que le marxisme-léninisme ne pouvait aboutir qu'au spectacle consternant que nous offre aujourd'hui l'Europe de l'Est ? Pourquoi ne saisissent-ils pas que les travailleurs espèrent plus de richesses pour eux et non plus de pauvreté pour tous ? Le dirigisme a fait faillite, a précipité des peuples entiers dans la misère, à tué l'homme; mais certains ne jurent encore que par lui...
Récemment, dans le journal de Genève, leur secrétaire général Jean Spielmann tenait des propos dénudés de toute ambiguïté : «Contrairement aux socialistes qui se contentent de gérer la société, nous, nous voulons la changer. Nous voulons continuer à nous battre pour la réalisation d'une société sans classe caractérisée par le dépérissement de l'État et la disparition du salariat». On se croirait propulser au bon vieux temps du communisme triomphant, à l'époque où les oriflammes sanglantes du socialisme scientifique flottaient fièrement sur les usines dévastées de l'Empire rouge. Les ouvriers, sur les barricades, au plus fort des révolutions de 1848, ne s'exprimaient pas autrement. Changer la société ! Mais que mettre à la place de l'État, une fois celui-ci "dépéri" ? La société, bien sûr, c'est-à-dire son représentant attitré, le Parti. Et l'Histoire ne serait qu'un éternel recommencement...
Finissons-en avec ces illusions d'un autre âge. Marx demeure assurément comme l'un des grands philosophes de notre temps, celui qui a tenté de récupérer la dialectique hégélienne de l'Histoire pour proposer une nouvelle vision de la société. Las, le Marx économiste a fait long feu. La réalité à miné la théorie : Marx ne l'a point remarqué, au contraire de Hegel qui, dans son approche rationnelle de la société, s'était justement prononcé pour un système économique plutôt libéral et contre le dirigisme. Marx a trahi Hegel mais les communistes, même s'ils n'en paraissent toujours pas convaincus, n'ont pas trahi Marx. Ils n'ont fait que mettre en oeuvre la dictature du prolétariat, organiser le dépérissement de l'État, ambitionner l'abolition du salariat et du capitalisme. On a vu le résultat. Qui l'expliquera aux communistes de l'après "Rideau de fer" ?Olivier Meuwly, secrétaire USAM
Journal de Pully Vendredi 16 octobre 1992 N° 42
Du romantisme et du libéralisme
Droit de réponse
Voici quelques temps, MM. Tafelmacher et de Trey m'ont fait l'honneur de me prendre assez vigoureusement à partie dans les colonnes du Journal de Pully. Les théories que je défends semaine après semaine les horripilent manifestement et un certain nombre de malentendus se sont glissés entre le partisan d'une économie de marché saine et libre que je prétends être les tenants d'un écologisme pur et dur représentés par mes honorables contradicteurs.
Qu'il me soit donc permis de préciser mes conceptions et mon approche de l'écologisme, non dans l'espoir de dédramatiser quelque peu le conflit stérile entre l'économie et l'écologie. MM Tafelmacher et de Trey se sentent apparemment offusqués par l'amalgame que je commets - régulièrement et intentionnellement - entre le romantisme et l'écologisme. Mais pourquoi donc ? Qu'est-ce que le romantisme, sinon le mouvement né à la fin du XVIIIe siècle en opposition au matérialisme triomphant des Lumières et qui a traversé toute notre histoire pour s'incarner aujourd'hui dans l'écologisme, ce fils de la révolte soixante-huitarde ? Sociologues et historiens sont d'accord sur ce point (1). D'ailleurs, je ne m'insurge pas contre cette tendance, fait historique incompressible, mais seulement contre la spécieuse et exclusive apologie de cette philosophie proclamée comme apothéose de la nature humaine, apologie dont moult écologistes se font les chantres.
Pas plus que la "sublime idéologie totalitaire de l'économie, du progrès et du développement", la création "d'un monde d'amour, d'entente, de respect, ouvert aux possibilités infinies de l'homme" (G. Tafelmacher) ne peut constituer la base rationnelle de l'existence humaine (2). La profession de foi de M. Tafelmacher, aussi irénique que consensuelle, exhale malheureusement un romantisme presque exacerbé, et cette constatation n'a rien de péjoratif. Elle symbolise simplement un ample courant de pensée, caractéristique de cette fin de siècle et issu de la forte poussée matérialiste de ces trente dernières années. Je n'ai jamais affirmé que libéralisme et écologisme devaient s'exclure ; je ne suis en revanche pas convaincu que les défenseurs inconditionnels du romantisme moderne aient quelque amitié pour la doctrine libérale . . .
Nous cherchons tous le bonheur ; moi-même, n'en déplaise à mes contradicteurs ! Mais, qu'est-ce que le bonheur ? Vaste question . . . Je mets au défi M. de Trey d'imaginer un monde expurgé de la notion de "satisfaction des besoins". L'humanité a-t-elle jamais fonctionné autrement que sur une quête du progrès, du mieux être, d'une perfection rarement accessible ? Le romantisme est apparu pour placer des bornes, aux excès d'une dérive ultra-positiviste toujours possible, pour nous rappeler que les valeurs humaines ne se limitent pas qu'au matériel. Hélas, les néo-romantiques aspirent trop souvent à ériger leur philosophie en aboutissement de la nature humaine, au détriment de toute considération bassement économique. Les explications de MM Tafelmacher et de Trey ne m'ont guère rassuré; je me dois de l'avouer, même si je cours le risque de m'exposer à une critique virulente (3)...
Car leurs théories économiques me laissent perplexe. Le développement des techniques de protection de l'environnement entre certes dans les mécanismes de l'économie de marché (à condition de ne pas oublier le problème des investissements initiaux), mais le recours à "la capacité d'autogestion saine et consciente de chaque homme, de tous les individus, librement consentie dans un puissant mouvement de respect de la vie et de l'écologie" de M. Tafelmacher et la revendication, chère à M. de Trey, d'une "croissance quantitative" (4) me semble plutôt des formules creuses et trompeuses. On ne me fera pas croire que l'écologie et l'économie se réconcilieront grâce à de tels slogans. Contrairement à ce que l'on entend parfois, l'écologie et l'économie sont contradictoires : il ne s'agit pas de s'en affoler, mais d'admettre cette évidence et, surtout, de la surmonter, en intégrant les deux termes de cette antinomie dans une nouvelle vision de la société. On n'y parviendra pas par de louvoyantes manoeuvres de récupération, dont raffolent autant certains capitaines d'industrie que plusieurs leaders écologistes. Seulement par un énorme effort de synthèse, auquel devraient s'attacher les partis politiques. Au travail !Olivier Meuwly, secrétaire USAM
Journal de Pully Vendredi 2 octobre 1992 N° 40
(1) "Révolte et mélancolie, le romantisme à contre-courant de la modernité" par Robert Sayre et Michael Löwy, Paris, 1992.
(2) Ce qui sous-entend que la base rationnelle de l'existence humaine ne serait alors que - la "saine" concurrence, la competitivité, le patronat et le salariat, un irrespect de la vie, une gestion autoritaire de gens inconscients(!) - comme si les formules du capitalisme n'étaient pas, eux aussi des "formules creuses et trompeuses", comme si le néolibéralisme ne marchait pas à coups de "slogans" notamment publicitaires !!
(3) Oui, et la critique virulente a fusé . . .
(4) La plume de M.Olivier Meuwly a fourchu ! Il a voulu écrire "une croissance QUALIFICATIVE" !
Partis, participation et information
Les Partis Parlent - Billet libéral
Une fois de plus, lors des dernières élections cantonales, la majorité des citoyens s'est abstenue de se rendre aux urnes. Il s'agit certes d'un refrain connu, mais nous avons toujours autant de peine à comprendre ce phénomène, vu les intérêts évidents en jeu.
Bien entendu, des raisons sont chaque fois trouvées et des responsables désignés pour expliquer cette désertion. Si souvent, les grands médias justifient cet abstentionnisme par la complexité des sujets ou le manque d'information à disposition de l'électeur, un journaliste de la Radio Suisse Romande a cette fois-ci véritablement agressé le secrétaire du Parti libéral vaudois lors d'un débat post-élections, arguant du fait que notre parti avait, par sa décision de ne présenter qu'un seul candidat au Conseil d'Etat, enlevé tout enjeu au scrutin et par là démobilisé l'électeur potentiel. "Panem et circenses", pourrait-on dire ; faut-il vraiment qu'il y ait du sang dans l'arène pour que la presse soit contente ?
En examinant de façon attentive ce phénomène d'abstentionnisme, nous pensons quant à nous que :
- d'une part, le citoyen suisse se désintéresse complètement de la vie civile et qu'il paraît vain de vouloir changer cet état d'esprit, quoi que fassent ou pourraient faire les partis politiques. Il s'agit certes d'un constat malheureux, montrant aussi que le citoyen se plaît mieux à critiquer qu'à faire quoi que ce soit pour prendre son avenir en main et influer sur le cours des choses ;
- d'autre part, l'influence de la presse est prépondérante; quel tapage n'a-t-il pas été fait pour la votation en faveur de la suppression de l'armée !
Le pouvoir que détiennent les grands médias dans ce domaine est immense, nous pensons d'ailleurs l'avoir déjà dit. Les petites brochures d'information distribuées par le Conseil fédéral avant chaque votation paraissent bien insignifiantes, même si, dans celles-ci, chaque objet est fort bien et clairement présenté, par rapport à l'impact de l'information qu'impose la presse à grande audience. A cet égard, le scrutin du ler avril 1990 ne réservera certainement aucune surprise en matière de participation, quand bien même l'importance de certains sujets (l'arrêté sur la viticulture et l'organisation judiciaire) et l'aspect farfelu d'autres (les initiatives "halte au bétonnage" et "Trèfle") justifieraient un afflux massif de citoyens aux urnes.
En définitive, malgré cette persistance de l'abstentionnisme, les partis doivent néanmoins persévérer dans leur rôle d'information, même si souvent l'impression existe de parler dans le vide. Un effort accru devrait également être entrepris, et, pourquoi pas, avec la collaboration des partis politiques, en matière de formation civique dans le cadre scolaire.Olivier Maillard
Journal de Pully Mai 1990
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