...certainement contraire aux Conventions des Droits de l'Homme !
Articles tirés du mensuel "solidaritéS" et du journal "LE COURRIER"
– compilation dédiée à l'aggravation de la dérive sécuritaire et à la stigmatisation de toute personne en opposition aux menées autoritaires de nos dirigeants !
Comment rendre les mesures de contrainte acceptables même si c'est au détriment de la démocratie...
National
Dans un rapport publié par le Conseil fédéral sur l'«extrémisme en Suisse», l'extrême gauche serait le «danger principal» pour la sécurité intérieure. Ce rapport prépare le terrain de nouvelles mesures de police politique préventive, de fichage massif et d'écoutes téléphoniques d'«activistes».
Ces mesures s'inscriront dans le vent de restriction des libertés
et de répression soufflant des USA, mais le rapport se fait européen,
citant une résolution du Conseil de l'Europe de 2003 et ainsi résumée
: «L'Assemblée conseille au gouvernement de contrer l'extrémisme
en prenant des mesures législatives visant à limiter l'exercice
de certains droits fondamentaux tels que la liberté d'opinion,
la liberté de réunion et la liberté d'association.
. .»
On vise les «violents». Mais attention : «Sont considérés
comme portés à la violence les extrémistes qui, de par
leur opinions politiques et leur façon de paraître en public, manifestent
leur aptitude à faire usage de la contrainte physique, mais qui, pour
des raisons stratégiques ou tactiques, ne font pas toujours preuve de
militantisme...» Vous avez des opinions contraires «aux valeurs
fondamentales de la démocratie et aux principes de l'ordre»
tels que les conçoit la bourgeoisie helvétique, ça suffira
pour être vu comme un extrémiste «porté à la
violence», même si vous êtes partisan convaincu d'une
action non-violente, même si votre «militantisme» est en sommeil.
Carte blanche pour une chasse au sorcières de la plus belle eau mccarthyiste .
. .
Au chapitre travaux pratiques, dans la foulée du rapport, le Conseil
fédéral vient de décider de créer «un état-major
supérieur de crise» qui s'emploiera à «imaginer
les menaces et les scénarios possibles» en matière de sécurité
intérieure et se préparera à «assumer un rôle
prépondérant en période de crise».
Extrême droite : épiphénomène ponctuel. . .
Plongeons dans le rapport. Il minimise les dangers d'extrême droite
: «Les activités des extrémistes de droite ne sont pour
l'heure pas de nature à menacer de manière notable la sécurité
intérieure de la Suisse», se limitant à «perturber
ponctuellement [. . .] la tranquillité, l'ordre et la sécurité
publics.»
C'est donc un «épiphénomène», pour reprendre
le terme du gouvernement genevois banalisant le fait que le nouveau chef de
la police judiciaire, qu'il vient de nommer, a fait l'objet d'une
sanction disciplinaire en 2002, pour avoir chanté des chants nazis à
une soirée de brigade.
Le grand absent du rapport, au chapitre de la droite extrême est, bien
sûr, son articulation avec l'UDC blochérienne, qui offre
gîte et couvert «respectable» à des pro-fascistes avérés
comme le député Schifferli à Genève, partisan d'Augusto
Pinochet, et dont la propagande raciste, a atteint des sommets concernant les
naturalisations. Ulrich Schlüer, porte-parole influent de l'UDC aux
National, n'est-il pas responsable d'annonces dénonçant
le «danger» de voir ici «Les Musulmans bientôt en majorité»!
À gauche : péril structurel !
«La notion d'extrémisme de gauche est générique
: elle s'applique au communisme, au marxisme, au léninisme, à
des pans du socialisme et à l'anarchisme» affirme par contre
le rapport. Constat: «L'extrême gauche constitue actuellement
un risque sérieux.»
Quant au «degré de cette menace» on lit: «le marxisme
n'a pas été vaincu par la force militaire et ses protagonistes
n'ont pas été jugés sur des bases de droit international
public» contrairement au IIIe Reich. On déplore donc que «cette
menace n'est plus estimée à sa juste valeur», que
sa surveillance serait «devenue moins systématique» de la
part d'«organes de prévention» s'étant
- à tort - «concentrés sur l'extrême droite.»
Le rapport veut corriger le tir et ressusciter le climat de guerre froide,
qui a vu la police politique helvétique ficher illégalement 600
000 personnes. Le péril rouge serait d'autant plus réel,
que le mouvement contre la mondialisation est devenu - reconnaît le rapport
- un thème fédérateur et que: «La récupération
du discours antimondialiste par les extrémistes de gauche a permis à
ces derniers de sortir de leur isolement. . .»
«Abus» de démocratie
En outre : «La gauche extrême et violente constitue un risque pour
la sécurité intérieure de la Suisse qu'il ne faut
pas sous-estimer, car elle parvient régulièrement à détourner
des questions politiques à son profit et à les radicaliser. Pour
ce faire, elle utilise les institutions de l'Etat à mauvais escient
et profite des droits démocratiques.» Qu'à gauche
de la gauche, on réussisse à empoigner des thèmes politiques
et sociaux: privatisations, assurances sociales, fiscalité, à
les radicaliser en les liant à une critique de fond du système
et, comble de l'horreur, à «profiter des droits démocratiques»
pour permettre aux gens de se défendre contre le rouleau compresseur
néolibéral, voire pour faire élire des dissidents dans
les «institutions de l'Etat». Tout ça est «abus»,
usage de la démocratie à «mauvais escient» !
On passera sur les élucubrations policières concernant l'analyse
du «milieu» d'extrême-gauche évalué à
2000 personnes. Signalons juste - comme échantillon - que dans cet effectif
on compte «les quelques 300 squatteurs de la seule ville de Genève
(appartenant au mouvement autonome-anarchiste et considérés comme
des extrémistes).» L'occupation de logements vides, le squatt
comme réponse à un besoin social, à la crise du logement,
le désir de «vivre autrement» sont réduits à
une manifestation de l'hydre anarcho-communiste. La dénonciation
des spéculateurs immobiliers ne relève-t-elle d'ailleurs
pas de cette «doctrine dualiste des bons et des méchants»
caractérisant les extrémistes! Bref, guère de militant-e
de mouvement social, de syndicaliste combatif, de démocrate conséquent,
qui en s'appliquant la logique de ce rapport, ne se réveillera
convaincu de menacer la sécurité de l'Etat. A moins de se
réveiller en sursaut et de se rendre compte du danger de la dérive
liberticide et antidémocratique dont ce rapport est symptômatique.
Les Galonnés montent au front
Autre symptôme du même mal du côté militaire : La «Rentrée automnale de la brigade d'Infanterie 2» qui organise un séminaire à Pully le 1er octobre, au thème général portant sur «La pacification des populations et des territoires». Le cadre «historique» sera apporté par un exposé initial sur «Conquête militaire et la gestion de la conquête selon Bugeaud, Galliéni et Lyautey» et dans la foulée de cette bouffée impérialiste et coloniale, une séance sera consacrée à la «Pacification au niveau national/régional», avec au menu «Sécurité et maintien de l'ordre en Suisse», avec participation d'un général de la gendarmerie française et de policiers gradés suisses qui apporteront leur vision concernant les «opérations» entourant le G8 de l'an dernier !
tiré de l'article du périodique «solidaritéS»
©Pierre VANEK
Conçue à l'origine pour les réfugiés, la loi sur les mesures de contrainte a été étendue ensuite aux marginaux du pays. La politique d'asile a modifié la perception du droit.
L'État de droit, c'est comme l'oxygène : on ne s'aperçoit qu'il existe qu'au moment où il vient à manquer - et là, c'est souvent trop tard. Pour beaucoup, l'air s'est déjà raréfié
: il y a dix ans, en ce début février, que la loi sur les mesures de contrainte entrait en vigueur (lire Le Courrier du 31 janvier). Ces dispositions permettent désormais de jeter en prison pendant neuf mois au maximum des personnes qui n'ont commis aucun délit sinon celui d'avoir passé la frontière suisse. De plus, la police peut prononcer contre des étrangers et étrangères une interdiction territoriale.
Quels effets ces mesures de contrainte ont-ils eus dans notre pays ?
Qu'est-ce qui a changé des les esprits ?
Qu'est-ce qui pourrait encore changer ?
DROIT VIOLÉ
En 1991 déjà, Walter Stöckli, spécialiste du droit d'asile posait un diagnostique effrayant : «Les jeunes juristes fraîchement débarqués de l'Université à l'Office fédéral des réfugiés, c'est-à-dire dans la pratique et la réalité du droit, apprennent vite qu'il ne faut pas prendre les avocats au sérieux (...), que le droit d'être entendu est une formalité ennuyeuse sans conséquences, (...) que chez les Tamouls certaines dispositions légales n'ont absolument pas cours, etc.» Walter Stockli sonne l'alarme et dénonce la banalisation de ces violations du droit : «Ces jeunes juristes fonctionnaires fédéraux ne sont finalement plus conscients de commettre l'injustice - ils sont un peu comme les enfants des rues de Sao Paolo.»
ÉTENDU AUX MARGINAUX
Au départ, si ce déficit de conscience de l'injustice concernait
les réfugiés, on a inscrits ces derniers, dans les années
1990 dans une sorte «d'état d'urgence». Et on a expérimenté
avec eux ce qu'on allait peu à peu étendre à des marginaux
en Suisse même. Trois exemples:
- La Ville de Berne s'est inspirée de l'interdiction territoriale de
la loi sur les étrangers et a été la première ville
suisse à introduire des dispositions légales lui permettant d'expulser
des citoyens suisses indésirables. D'autres villes comme Winterthour
ou St-Gall ont repris l'idée.
- Pendant des années, l'UDC a rabâché la notion de «faux
réfugiés» vidant par là le droit d'asile de sa substance.
Aujourd'hui, l'UDC parle de «faux invalides» et on discute déjà
de restrictions à l'assurance invalidité.
- Les réfugiés dont la demande fait l'objet d'une non-entrée
en matière, depuis le 1er avril dernier, ne reçoivent plus aucun
secours, ce qui en en violation de la Constitution, puisque chaque personne
en détresse, a droit à une aide. Il en va de même pour les
bénéficiaires de l'aide sociale qui refusent de participer à
un programme d'occupation; ils peuvent se voir supprimer totalement l'aide sociale
- ce qui est là aussi contraire à la Constitution.
ÉTAT DE DROIT SACRIFIÉ
Le manque de conscience du l'injustice des juristes fait tache et s'étend plus loin encore. L'exemple le plus frappant est l'initiative sur l'internement acceptée il y a tout juste un an. Le conseiller fédéral Christoph Blocher a créé un groupe de travail chargé d'élaborer un projet de loi. Le résultat est alarmant : la loi viole la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que l'internement ne doit être réexaminé qu'en cas de «nouvelles connaissances scientifiques». En outre, le projet de loi va encore plus loin que l'initiative et envisage la possibilité d'un internement après-coup, ce qui est également contraire à la Convention européenne. Mais dans ce pays, on est aujourd'hui tellement obnubilé par la nécessité d'éviter tous abus et délits possibles qu'on est prêt à sacrifier les principes mêmes de l'Etat de droit. Dans un Etat de droit, par principe, aucun innocent ne doit se voir privé de liberté. Les autorités judiciaires ne devraient instruire un cas qu'après qu'un délit a été commis et tant qu'il n'y a pas de soupçon concret, on ne peut poursuivre personne. Toutefois, à partir du moment où on veut empêcher des délits, c'est tout le système qui s'emballe. On se retrouve alors dans la situation imaginée par Philipp I. Dicks dans son roman "Minority Report" où des êtres doués d'une sensibilité surnatuelle sont capables de prédire les délits qui vont être commis. Les délinquants potentiels sont alors arrêtés avant d'avoir passé à l'acte. C'est exactement cela une société de contrôle préventif.
BANQUES DE DONNÉES
Dans la politique d'asile, ce contrôle préventif est déjà
une réalité quotidienne : les empreintes digitales de tous les
requérants sont par exemple intégrées dans d'immenses banques
de données, de façon à bloquer tout dépôt
ultérieur de demande d'asile dans un autre pays européen. Nous
finirons tous par être intégrés dans ce système préventif,
puisque les empreintes digitales devront bientôt figurer sur toutes les
cartes d'identité européennes. Ce n'est qu'une question
de temps. Et la prochaine étape est programmée, on va exiger l'établissement
du profil ADN chez les nouveau-nés.
«Ce qui était autrefois réservé aux criminels est
aujourd'hui appliqué à tout le monde», constate le philosophe
italien Giorgio Agamben. «Nous observons aujourd'hui l'évolution
de l'Etat qui a tout pour devenir un Etat policier, et le citoyen un criminel
potentiel. Il serait intéressant de se demander comment et pourquoi une
démocratie libérale se transforme en un Etat contrôleur.»
«LEX LETTEN»
Giorgio Agamben évoque l'état d'urgence : quand une société se croit en état d'urgence, il semble dès lors naturel qu'elle suspende les libertés civiles. Les mesures de contrainte elles aussi sont apparues dans le contexte d'un état d'urgence : au seuil des années 1990, Zurich avait une scène ouverte de la drogue au Platzspitz d'abord puis au Letten, avant de réclamer une législation d'urgence. Pendant des mois le Blick a tenu des propos incendiaires contre les requérants-dealers, réclamant leur internement. Les milieux politiques ont réagi avec une "lex Letten», les mesures de contrainte. La situation s'est détendue à Zurich grâce à la remise aux drogués d'héroïne sous surveillance. Mais les mesures de contrainte n'ont pas été levées et le sentiment d'un état d'urgence s'est installé durablement dans les esprits. Aujourd'hui, les déploiements policiers spectaculaires pour accueillir 1es manifestants ou les supporters d'équipes de football ou les échantillons d'ADN exigés de squatters n'offusquent personne; et on milite sans états d'âme pour l'adhésion à l'accord de Schengen - un accord, soit dit en passant, qui a fait explicitement sa clé de voûte du contrôle préventif transfrontalier.
SUSAN BOOS
Propos traduites par Camille Egger
A la fin de l'année 2004, le Conseil fédéral a mis en consultation un projet de «Loi fédérale sur l'usage de la contrainte dans le cadre du droit des étrangers des transports de personnes ordonnés par une autorité fédérale», abrégée loi sur l'usage de la contrainte (LusC). Les dispositions proposées sont inquiétantes.
Le souci de réglementer au niveau fédéral l'action
des agents chargés d'exécuter les renvois répondait
à un souci très légitime. Il n'y avait en effet aucune
norme légale à ce sujet, alors même que l'organisation
des expulsions pouvait porter de graves atteintes à l'intégrité
des personnes concernées. Lors de la visite du Comité pour la
prévention de la torture (CPT) en 2001, cette lacune de notre ordre juridique
avait été pointée et il s'imposait d'y remédier.
Malheureusement, et comme cela a été trop souvent le cas dans
le domaine de l'asile ou des étrangers, l'administration
a saisi l'occasion pour introduire toute une série de nouvelles
mesures particulièrement dangereuses.
L'aspect qui a fait le plus réagir concerne l'autorisation
de certaines armes. En effet, pour assurer l'exécution des renvois,
il deviendrait possible de recourir à des matraques ou à des pistolets
paralysants à électrochocs, aussi appelés tasers (article
8). Seuls les moyens pouvant entraver les voies respiratoires, comme les baillons
ou les casques intégraux, seraient explicitement interdits (article 7
alinéa 2), de même que les techniques d'immobilisation susceptibles
de mettre en péril la santé des personnes (article 6). Si l'administration
de calmants est possible (article 17), il est tout de même précisé
que les médicaments ne peuvent être utilisés en lieu et
place de moyens accessoires (article 18).
Le projet autorise les menottes, entraves et autres liens (article 7). De plus,
aucune obligation n'est faite de libérer le déporté
de ses liens lors du vol, en particulier lors du décollage et de l'atterrissage:
ceci contredit pourtant une recommandation du Commissaire aux droits de l'homme !
Alors que le projet de loi interdit les traitements dégradants, le Conseil
fédéral précise dans son rapport explicatif que, dans certains
cas, des langes pourraient être imposés à des personnes
au comportement agressif, ceci pour éviter les déplacements aux
toilettes de l'avion.
La LusC poserait également comme principe que la contrainte policière
doit être précédée d'un avertissement (article
4). Malheureusement, cette obligation est immédiatement relativisée
dans le texte légal. Le rapport explicatif est très clair: «La
réglementation doit (...) permettre aux autorités d'agir
par surprise dans certaines circonstances». Il est pour le moins choquant
qu'en matière d'expulsion, la personne concernée perde
ce droit élémentaire à être informée à
l'avance des mesures qui pourraient être prises contre elle. La
ruse et la dissimulation deviendraient ainsi une manière d'agir
habituelle de l'Etat.
Lacune importante du projet de loi, on n'interdirait pas le port de masques
ou de cagoules rendant impossible l'identification du personnel de l'escorte.
Or, le rapport du CPT avait révélé que cette pratique était
courante. Vu les intérêts en jeu, et notamment les risques de graves
atteintes à l'intégrité des personnes expulsées,
seuls des fonctionnaires de police clairement identifiables devraient être
chargés de ces missions.
Enfin, alors qu'aujourd'hui les agents des sociétés
privées de sécurité n'ont que le droit d'interpeller
des gens et de les retenir pour les remettre à la police, le projet de
LusC permettrait de leur confier la prise en charge des personnes à expulser.
Cette privatisation de la contrainte ne paraît pas admissible, d'autant
moins si elle s'accompagne de la possibilité d'utiliser des
armes telles que les pistolets à électrochocs ou les matraques.
Seules les autorités doivent être en mesure d'utiliser de
la violence légitime, qui reste une prérogative de l'Etat.
De l'électricité dans l'air
Mais revenons sur la question des pistolets à électrochocs. Cette
arme envoie une décharge de 50000 volts provoquant une douleur telle
que la victime en reste paralysée, quand elle ne perd pas connaissance.
Rappelons qu'on envisage l'usage de tels appareils contre des personnes
qui ne seraient pas libres de leurs mouvements. Pour le Conseil fédéral,
ces armes sont à préférer à d'autres, car,
dans un espace restreint comme dans un véhicule automobile ou un avion,
ils ne représenteraient pas de danger pour des tiers. En outre, affirme
le rapport explicatif, utilisés correctement, ces appareils ne risqueraient
pas, selon les connaissances médicales actuelles, de provoquer des blessures
sérieuses ou permanentes.
Amnesty Internationalrelève pourtant qu'aux Etats-Unis et au Canada,
l'emploi des tasersaurait déjà occasionné la mort
de plus de 70 personnes ces trois dernières années! Cette pratique
peut aussi s'avérer particulièrement dangereuse pour une
personne enceinte ou pour une personne ayant des déficiences cardiaques,
ce que reconnaît le Conseil fédéral. De plus utilisé
à la hauteur de la tête, le pistolet à électrochocs
peut provoquer une perte de la vue, porter atteinte au système nerveux
ou défigurer la personne.
Comme on le voit, l'utilisation des armes à électrochocs
peut mettre gravement en péril l'intégrité physique
des personnes expulsées. Comment alors assurer le respect du beau principe
ancré à l'article 3 du projet de loi: «la contrainte
policière ne doit pas entraîner des inconvénients ou des
dommages disproportionnés par rapport au but visé» ?
En décembre 2004, la Conseillère nationale Anne- Catherine Menétrey-Savary
a interpellé le Conseil fédéral en rappelant qu'en
Suisse, les appareils à électrochocs sont interdits pour le bétail.
D'autre part, elle souligne que selon la loi sur les armes, les «appareils
produisant des électrochocs susceptibles... de porter durablement atteinte
à la santé» sont définis comme des armes visées
par la réglementation (article 4). Comment soutenir alors qu'elles
ne présentent pas de danger lors d'expulsions ?
Dans sa réponse, le gouvernement s'est borné à dire
que ces pistolets sont déjà actuellement utilisés par la
police cantonale de Bâle-Campagne, leur introduction étant planifiée
par les corps de police des cantons de Zurich et de Berne, de même que
par le corps de police de la ville de Zurich. Quant à la loi sur les
armes, elle n'est applicable ni à l'armée, ni aux
administrations militaires, ni aux autorités douanières et policières:
sur un plan strictement formel, il n'y a donc pas de contradiction entre
cette loi et le projet de loi sur l'usage de la contrainte. Aucun mot
n'est consacré au fait que le bétail est mieux protégé
que les personnes étrangères . . .
La justification du recours aux pistolets à électrochocs est
particulièrement perverse: comme on prétend que ces appareils
présenteraient moins de dangers que d'autres armes, les agents
d'escorte seront d'autant plus facilement tentés de les utiliser!
Au vu des risques relevés parAmnesty International, il faut en réalité
admettre que cet usage de la force s'apparente bien à des traitements
inhumains prohibés par le droit international, notamment par la Convention
européenne des droits de l'homme (art. 3) et la Convention des
Nations Unies contre la torture (art. 1er).
Sans médecins ni observateurs
Tout en admettant que le recours à certains moyens peut avoir des conséquences
graves et même entraîner la mort, le gouvernement ne veut pas imposer
un examen médical préalable de la personne à l'encontre
de laquelle les moyens de contrainte pourraient être utilisés.
Cet examen n'est prévu que lorsqu'il a effectivement été
fait usage de la contrainte policière, et selon la gravité des
blessures (article 16). Mais voilà, l'appréciation de la
gravité des blessures nécessitant un examen médical sera
laissée dans la pratique aux soins des agents de l'escorte. En
effet, la loi ne prévoit pas l'accompagnement systématique
d'un médecin lors des expulsions. Quant au rapport explicatif,
il précise que, même dans les cas où l'on admettrait
la nécessité d'une surveillance médicale, celle-ci
ne doit pas être obligatoirement être effectuée par un médecin.
Dans ces conditions, on ne voit donc pas très bien comment, concrètement,
l'examen médical prévu par l'article 16 serait possible.
Le plus probable est que la personne déportée sera remise aux
mains de la police du pays de destination dès son arrivée, sans
autre formalité.
Malgré de réels risques, qui se sont déjà soldés
par de nombreux incidents ayant parfois entraîné la mort, la loi
ne prévoit pas non plus l'accompagnement par un observateur neutre.
Ce serait pourtant là une exigence essentielle pour veiller au respect
du principe de proportionnalité. Sur bien des points, la loi laisse une
grande marge de manoeuvre aux agents chargés du «rapatriement».
Ils disposeront donc d'une liberté d'appréciation
pour décider de l'usage de la force, dans un huis clos propice
à tous les dérapages. Une fois rapatrié, l'intéressé
lui-même sera bien en peine de s'en plaindre, et sa parole ne suffira
jamais à équilibrer les justifications qui seront données
après coup par ceux qui auront usé de contrainte. Sans prévoir
systématiquement la présence d'observateurs en cas de vol
spécial, cette loi revient en fait à un blanc seing, sans garde
fou, pour l'utilisation de la force.
Les déportés sont-ils des cobayes ?
Le rapport explicatif le rappelle en introduction: le point de départ
des travaux ayant abouti au projet de LusC résidait dans des situations
tragiques au cours desquelles des personnes ont perdu la vie ou ont été
blessées lors de «rapatriements» forcés. A l'arrivée,
on se retrouve avec un texte qui n'offre aucune véritable garantie
de sécurité en faveur des personnes expulsées, qui donne
au contraire beaucoup de pouvoir aux agents d'escorte, ainsi que la possibilité
d'utiliser de nouvelles armes. Blessures graves et décès
sont hélas à prévoir.
L'introduction des pistolets à électrochocs dans l'équipement
habituel des polices fait l'objet de certaines résistance. On a
vu les critiques d'Amnesty Internationalà ce sujet. On peut donc
craindre que les déportés ne soient les cobayes de ces nouvelles
armes dites «non létales». Dans le cynisme officiel ambiant,
ces personnes sont toutes désignées pour cette tâche, vu
qu'on ne leur reconnaît pas les mêmes droits que l'ensemble
des citoyennes et des citoyens. Les risques de voir ces pratiques se généraliser
sont contenus dans le projet même. Comme le souligne le Conseil fédéral,
son champ d'application ne vise pas uniquement les personnes de nationalité
étrangère, mais toute personne pouvant faire l'objet d'un
transport forcé, si ce dernier est ordonné par une autorité
fédérale. La LusC est ainsi à comprendre comme un instrument
général de contrainte et de répression, même si on
le justifiera surtout en focalisant sur les étrangers à expulser.
La contrainte et les électrochocs vont-ils prochainement viser des manifestant-e-s
que l'on aurait arrêtés en masse et que l'on voudrait
transporter ailleurs, ou à des supporters d'équipes de football
que l'on encerclerait dans des trains, comme cela est survenu récemment?
Le fait que certains experts aient proposé d'étendre le
champ d'application de la loi à l'exécution de l'ensemble
du droit fédéral va dans ce sens. Il faudra rester très
attentif au développement de ce projet, qui constitue un élément
important s'ajoutant au délire sécuritaire actuel.
©Christophe TAFELMACHER
tiré de l'article du périodique «solidaritéS»
Dossiers préparés par ©Georges Tafelmacher & SuisseForum