Le Courrier du 27 mars 2002
le Courrier des lecteurs
MONDIALISATION - Ludwin Fischer, depuis Bangkok, écrit ce que lui ont inspiré les propos d'Eric Decarro tenus dans un article paru dans notre édition du 12 mars.
On ne peut pas exiger la disparition de l'OMC et de ce qu'elle représente, le libre-échange, sans proposer de solution de rechange.
Dans Le Courrier du 12 mars, Eric Decarro, président du Syndicat Suisse des Services Publics, affirme qu'il serait vain d'exiger des réformes, ou l'inclusion de clauses sociales, dans les statuts de l'OMC. Il exige donc, implicitement, la disparition pure et simple de l'organisation mondiale du commerce et, donc, la disparition de la notion même de libre-échange entre États.
Imaginons pendant quelques secondes que cette revendication absurde puisse être satisfaite. Les États seraient alors autorisés à interdire du jour au lendemain toute importation de n'importe quelle marchandise, ce qui leur conférerait le pouvoir de précipiter des populations entières dans la misère du jour au lendemain! Ce serait le début d'une apocalypse économique. Des catastrophes, guerres et famines s'ensuivraient inévitablement...
Les militants qui fustigent "la mondialisation néolibérale" et le libre-échange doivent proposer une alternative crédible. Vous ne voulez pas du libre-échange des marchandises? Alors dites-nous, expliquez-nous, comment vous envisagez les choses. Comment les échanges internationaux devraient-ils être régulés? Et par qui ?
Je n'ai jamais, dans le discours des militants dits "antimondialisation", trouvé la moindre esquisse d'une réponse à ces questions, pourtant fondamentales. Pour l'heure, le mouvement "antimondialisation" n'est absolument pas crédible.
LUDWIN FISCHER,
Thaïlande
24heures lundi 5 août 2002 pg.30
ENCRE NOIRE
Il y a maintenant un académisme de la subversion qui atteint un point tel que la culture de la provocation sulfureuse devient la culture officielle. Celle-ci promeut de ce fait les marginaux, pervers, excentriques, branchés en tous genres, voire des criminels qui deviennent tous d'excellentes sources de profit. Dans ce registre, les diatribes antimondialisation constituent de l'extrême gauche à l'extrême droite une sorte de patois international que chacun est invité tôt ou tard à entonner.
On devient même rebelle professionnel, ce qui est quelque peu contradictoire puisqu'on banalise ainsi un état qui devrait être exceptionnel. Peu importe: dans une société où chacun se croit ou se veut unique, il s'agit d'un mécanisme très utilisé et très fructueux d'autopromotion. On tire une gloire ou une aura particulières de passer pour un banni, un exclu, voire un martyr, bien entendu devant les caméras de la TV (l'exemple typique de José Bové) ou, au pire, devant un buisson de micros radiophoniques, tout cela sans péril aucun sinon d'être un peu aphone pour l'émission du lendemain... il y a tant de notables des lettres, du théâtre, de la sociologie, du journalisme, de la politique qui jouent au banni, au renégat que le politiquement correct, à présent, en France comme en Suisse, c'est de se prétendre incorrect. On peut ainsi gagner sur tous les tableaux, avoir un pied dedans et un pied dehors, alors qu'on jouit par ailleurs d'une situation établie et de tous les avantages de la notoriété.
L'image de l'insurgé, du rebelle est investie d'un gros profit symbolique. Les défavorisés de luxe sont légion et parlent d'abondance.. au nom des pauvres, des exclus, du tiers-monde. C'est une nouvelle vague de "parias peinards" qui fleurissent en dénonçant l'affreuse misère des masses d'ici et d'ailleurs et qui prospèrent, bien pépères, sur cette excommunication, telles des mauvaises herbes sur une terre riche.
La vraie combine, à présent, c'est de vieillir en anarchiste de salon, de faire carrière dans l'intransigeance et la fermeté révolutionnaires, de se muer, l'âge venant, en comédien de l'indignation permanente, imposture où réussissent tant de roublards et de petits malins rompus aux coups de gueule et aux colères feintes et, bien sûr, récompensés par de sonnantes et trébuchantes sinécures. Ne nous y laissons plus prendre mais, comme les bourgeois d'après-Mai'68 qui craignent de rater la dernière révolution, nous craignons maintenant de rater la dernière provocation à la mode.
Christian Bauchau,
Pully
Date de parution: Vendredi 4 octobre 2002
OPINIONS
Notre temps est rattrapé par ses contradictions, mais refuse de les reconnaître et s'entête dans l'erreur. La montée de la dure réalité pédophile, dans son horreur révélée, en est une preuve parmi d'autres. En effet, nul ne veut avouer que les comportements déviants se multiplient parce que tous les tabous ont été levés et qu'aucun interdit ne subsiste.
Depuis trente ans tout le monde a droit de prendre son plaisir comme il lui convient et la liberté des mœurs fait partie intégrante du discours branché. Le sexe, avec tous les détails techniques in-dis-pen-sables à une vie épanouie, s'est installé de plain-pied (sans jeu de mots) dans notre vie quotidienne. A l'école obligatoire, sous prétexte de planning familial avant l'heure. Dans les journaux où les Dr Ruth recueillent des taux de lecture à faire honte aux meilleurs éditorialistes. Au cinéma où plus aucun film n'évite les scènes de lit plus ou moins croustillantes. A la télévision où les westerns de RTL9 sont entrecoupés de pubs très suggestives dès qu'ils sont programmés en deuxième partie de soirée. Avec ça, les BD "pour adultes" s'achètent et se lisent en famille. Les revues pornographiques s'affichent dans les kiosques et aux arrêts autoroutiers. Les grands couturiers mettent en valeur des petites robes à 5000 francs sur des visuels de viols particulièrement hard. Les jeans aux braguettes ouvertes sur des ventres lascifs s'offrent sur les murs de la ville quand ce n'est pas l'annonce d'un spectacle nocturne mettant en scène la "reine du porno"... On a même vu un chien très occupé à flairer les dessous affriolants de sa maîtresse (toujours sans jeu de mots). Après cette banalisation par l'image omniprésente, comment affirmer que c'est mal de violer, que la zoophilie c'est vilain et, dans la foulée, que la pédophilie est abjecte. Mais pendant ce temps, Genève et Lausanne interdisent la pub pour le tabac et les cigarettes, véritable inversion des priorités...
Le matérialisme qui règne dans notre société libertaire (et non plus libertine, ce qui avait un tout autre charme) permet aux amateurs de sensations fortes de se dédouaner facilement puisqu'il est devenu normal d'agir selon son bon plaisir. Condamner les Monsieur et Madame Tout-le-monde (dixit la police) qui téléchargent des sites pédophiles, sans oser mettre en cause l'état d'esprit général qui prévaut en matière de sexualité, ne servira durablement à rien. Comme toute hypocrisie! En effet, la sexualité désormais dépouillée de son sens affectif et de sa dimension érotique a laissé place au "sexe" qui conduit à la chosification de l'Autre et à une instrumentalisation du partenaire comme simple outil de plaisir. Les gens normaux lui demandent son avis, alors que certains s'en emparent sans permission et pratiquent le viol, y compris des enfants. Pourtant, souvenez-vous, il y a une dizaine d'années, avant que l'affaire Dutroux en 1996 n'y mette fin, il y avait des bien-pensants pour trouver que les pédophiles, somme toute, aimaient les enfants... Vous savez bien que l'Homme est bon, puisque Jean-Jacques nous l'a dit, et que c'est la société qui le corrompt... en voyant le mal partout !
Auteur : Marie-Hélène Miauton
© Le Temps. Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Réponse de Georges Tafelmacher
Version forum Or donc pour Marie-Hélène Miauton, notre société matérialiste serait libertaire! Il est sûr que nous n'avons jamais vu autant d'entreprises autogérées, d'ouvriers participatifs, de communautés autodéterminées, d'assemblées générales qu'en ces temps libertaires! Il est sûr que, de nos jours, nous avons une résistance à l'oppression et une réaction permanente contre toutes les formes de contrainte et partout il y a des anarchistes qui luttent contre l'aliénation religieuse et l'église; contre l'aliénation politique et l'état totalitaire; contre l'aliénation humaine et les contraintes d'une morale abstraite et comportementale. Nous voyons partout l'anarchisme reconstruisant la vie en commun sur la base de la volonté individuelle d'autonomie et la conscience de soi. Il est sûr que le principe de l'autonomie de la volonté individuelle et l'union librement consentie est partout en vigueur. Blague à part, il est évident que l'état du monde est le fait des entrepreneurs néo-libéraux, qui pour assurer leur pouvoir, ont récupéré toutes les aspects de la démarche libertaire pour mener leurs affaires. Cette philosophie a été récupérée et détournée et des faiseurs d'opinion ont en fait un avatar, toutes les pubs se référant au libertaire déjanté et suintant l'utilisation démagogique d'une alternative qui aurait pu résoudre la plupart des problémes économiques et sociaux. Il faut dire clairement que pour l'anarchisme l'ordre et la justice, quoique nécessaire, doivent reposer sur un contrat librement conclu entre tous les membres de la communauté. L'anarchie, c'est la recherche perpétuellement renouvelée d'un équilibre entre les groupements distincts, les régions, les nations et tous les peuples de la terre. Avec cette définition, notre époque, somme tout, ne paraît plus trés "libertaire" ! GPT
le 24 Heures du Vendredi 30 août 2002
ENCRE SYMPATHIQUE
sus aux êtres coincés !
Depuis quelque temps, les politologues observent que, dans les scrutins fédéraux, l'électorat se divise toujours plus distinctement en deux camps. Ce n'est pas une question de rapidité: ceux qui y distinguent, sans réfléchir, "les Romands et les Alémaniques" ou encore "les villes et les campagnes" ont tout faux. Il s'agit en fait des gens ouverts sur le monde d'une part, et des gens repliés sur eux-mêmes d'autre part.
On serait tenté de recycler le vieux schéma selon lequel la gauche est progressiste — donc ouverte — et la droite conservatoire — donc repliée. Mais ce n'est pas si simple. Dans la campagne fédérale qui bat son plein sur la Fondation Suisse solidaire, on observe qu'il se trouve, à gauche comme à droite, tout à la fois des gens ouverts et des gens repliés. Dans la campagne vaudoise qui bat son plein sur la nouvelle Constitution aussi.
Sur ces deux objets sur lesquels nous voterons le 22 septembre, nous ne sommes pour une fois pas forcés d'assimiler un lourd argumentaire technique ni de décider quel parti représente le mieux notre vision du bonheur. Il nous suffit d'infliger une raclée mémorable aux esprits chagrins qui prônent l'immobilisme et le repli sur soi, au risque de dégoûter à tout jamais les jeunes de la politique. Et de choisir notre camp: celui d'un monde qui bouge parce qu'on le fait bouger!
Philippe Anhorn, Renens
"OPINION" exprimée le 2 août 2005
Nous nous moquons volontiers des sorciers. Nous ne devrions pas, car nous sommes exactement comme eux. La seule différence est qu'au lieu d'invoquer les esprits, nous invoquons nos dieux secrets à nous, qui ont tous pour nom de famille "Long Terme". Oui, dans l'Occident dit rationnel, nous adorons le long terme, et ne jurons que par lui !
Lisez les journaux, regardez la télé, écoutez les politiciens, traînez vos guêtres sur les bancs des universités: tout le temps, vous entendrez parler du long terme. Cycles économiques de Kondratieff. Démographie dans cinquante ans. Transformation du climat sur mille ans. Épuisement à venir des ressources en eau de la planète. Fin du pétrole. Déplacement lent mais catastrophique des plaques tectoniques. Sans rien dire, in fine, de l'inévitable extinction du soleil, un jour (si l'on peut dire !), dans quelques milliards d'années. Notez que je ne reproche à personne d'adorer le long terme, je fais moi-même partie de cette secte.
Mais adorer ne veut pas forcément dire être aveugle. Sans se forcer beaucoup, on voit bien que le long terme est surtout adorable parce qu'il nous permet de "tirer la sonnette d'alarme" à tout bout de champ, et de pousser ainsi nos contemporains à se mettre en marche dans la direction qui, sur l'heure, nous paraît la plus urgente.
Or l'homme, depuis qu'il est sur la terre, ne parvient à agir durablement — et encore! — que sur les gens et les choses qui sont, pratiquement, sous son nez. Pour des raisons bêtement matérielles, d'abord: cycles, démographie, climat, ressources, soleil, et tutti quanti, sont des ordres de grandeur tellement énormes que prétendre les infléchir autrement que de manière infime est d'une prétention et d'une inefficacité risibles.
À ces raisons matérielles s'ajoutent des raisons théoriques. Nous sommes incapables d'organiser, aujourd'hui, le monde à long terme, pour cette simple et mystérieuse raison qu'il est impossible de savoir si ce que nous jugeons bon et désirable aujourd'hui le sera encore dans cent ans ou dans mille ans. Imaginez que nous soyons obligés de vivre, aujourd'hui, dans un monde que les Européens de l'An Mille eussent jugé idéal: pour nous, ce serait l'enfer !
J'y songeais en lisant, il y a quelques jours, le très bel article que Florencio Artigot a consacré, dans Le Temps (22.7.05.), aux feux de forêt, où il montre que ce fléau, considéré aujourd'hui comme devant être combattu à la vie à la mort, est, sur le long terme, un phénomène essentiel au bon fonctionnement de l'écologie forestière. Notre instinct actuel nous pousse à combattre le feu, mais, dans mille ans, nos descendants nous maudiront peut-être de l'avoir fait.
Il y a bien d'autres exemples. Nous haïssons, aujourd'hui, le terrorisme, mais qui nous dit qu'il n'est pas, dans une perspective à long terme, une sorte de feu nécessaire à l'écologie humaine de la planète? Et la population, justement! Depuis que je suis gamin, on nous avertit qu'elle s'accroît de façon explosive et que le monde va déborder, or là, aujourd'hui, on nous dit qu'elle décroît et que si ça continue comme ça, le monde est foutu! La vérité est que nous sommes structurellement incapables de maîtriser des données d'une durée et d'une taille pareilles. Nos discours sur le long terme ne sont que ça: des discours. Il faut le savoir.
Que faire, dès lors? Simple: ce que nous jugeons juste et intelligent de faire ici et maintenant. Sûr que le long terme nous démentira? Tant pis. Nous ne serons plus là pour l'entendre.
© Claude Monnier & 24 Heures
COURRIER DES LECTEURS du "Le Régional" du 15-16 septembre 2005 - N°291 - pg.15
aussi dans L'INVITEE du "24heures" du 21 septembre 2005
À propos de délinquance
La délinquance juvénile atteint des pics jamais vus, y compris dans des villes réputées tranquilles comme La Tour-de-Peilz. Les élèves boléands n'osent plus sortir car leurs préaux d'école sont squattés par des jeunes venus d'autres communes. Parmi eux, de sacrés numéros: un mineur a avoué avoir commis une cinquantaine de rackets !
Est-ce vraiment si grave? Oui. En 10 ans, les affaires pénales impliquant des mineurs a doublé. Un tiers des infractions dans le canton de Vaud sont commises par des mineurs! Pire, on constate une aggravation généralisée des cas, un accroissement de la violence et une baisse de l'âge moyen des jeunes délinquants.
D'où vient cette augmentation des violences? Les causes sont d'ordre aussi bien sociologique que culturel. Une des causes est très clairement l'abandon de la discipline et de l'éducation. Les jeunes, désécurisés, cherchent un modèle auprès des copains ou du grand frère. Ils se sentent rassurés en bande et obéissent à un chef. La consommation généralisée de cannabis et d'alcool les encourage dans leurs débordements.
La justice et la police sont-elles armées pour faire face? Non. La justice des mineurs est débordée. Une condamnation qui intervient trois ans après les faits manque totalement son effet dissuasif. Au surplus, les peines ne sont plus adaptées à la criminalité des jeunes, et la nouvelle loi, permettant des peines de détention jusqu'à 4 ans, se fait attendre.
Dans la zone pilote Police Riviera, la diminution des effectifs affectés au processus de proximité a créé des vides que des jeunes délinquants ont vite investi. La Municipalité de La Tour-de-Peilz a dû menacer de rapatrier ses agents mis à disposition pour le processus de régionalisation, pour pouvoir disposer à nouveau d'une police de proximité.
Le coût de la sécurité? Renforcer la police de proximité est indispensable à la prévention. Mais, il faut également donner à la justice les moyens de frapper vite et fort. II faut en outre créer des places en institution pour ceux qui ont davantage besoin de mesures que de sanctions. Ceci a un coût. Toutefois, si ces jeunes n'obtiennent pas la possibilité de se réinsérer dans la société, ils finiront de toute façon par se retrouver à la charge de l'État, que ce soit par le biais de l'aide sociale ou par le biais du système pénal, en cas de récidive. À long terme, ces investissements seront donc rentables tant du point de vue humain que du strict point de vue financier.
Jacqueline de Quattro, avocate
La Tour-de-Peilz
le 24 Heures du vendredi 30 septembre 2005
réponse raccourcie pour les besoins de la cause – passer dans la rubrique "Courrier des Lecteurs"
Une des causes de l'augmentation de la délinquance est l'attention accrue que la police porte aux jeunes de préférence excitables qui fait gonfler la statistique. La société, traumatisée par la liberté que les jeunes ont conquis en Mai'68, a donné à la police un pouvoir répressive et à la fin des années 1990, les désordres sociaux ont monté en flèche - manifs anti-G8, délinquance, incivilités, drogue. L'augmentation constatée est une des conséquences de cette reprise en main musclée !
La plupart des dirigeants d'entreprises et des caciques politiques ont fait profiter leurs affaires en adéquation avec les idées libéraux distillés à l'époque: ouverture, mobilité, consommation, plaisirs personnels et la pub n'a pas manqué de les récupérer pour mieux vendre aux masses les objets des désirs suscités par l'individualisation et les besoins de consommation.
Maintenant que le système est en crise, ces mêmes personnes accusent les parents «'68tards» de ces dérapages alors qu'elles en sont les vraies responsables. En effet, c'est le fait d'avoir récupérer les grands idéaux de cette époque pour les traduire en espèces sonnantes et trébuchantes qui a amené cette violence.
Les principaux instigateurs de cette augmentation sont d'abord nos dirigeants: par leurs solutions répressives pour juguler un phénomène qui les dépasse, ils rendent une simple exaspération juvénile criminogène, un énervement devient une "incivilité" et un cri de douleur, une attaque contre l'autorité.
Cette société est basée sur la violence, la réussite des uns se faisant sur le travail dur des autres. Faite de guerre économique, de compétitivité et de concurrence, cette violence est le fait des plus forts. Beaucoup de "petits gens" sont laissés au bord de la route dans un état de frustration exacerbé incapables de régater.
Si nous voulons vraiment "faire quelque chose" face à la délinquance, il faudrait revenir aux fondements de la pensée «'68tarde», soit le respect de l'individu, la compréhension des phénomènes sociaux, la recherche de solutions pacifiques aux conflits et aux problèmes de société, soit le "Peace & Love" des années '60s !
Et ce qui a paru, réellement !!
Peut-on parler d'un détournement de sens ??
Car chaque "(...)" est une coupure qui change le sens même de la phrase !!
» En réponse à l'«Opinion» de Mme Jacqueline De Quattro intitulée «Délinquance juvénile: donnons-nous les moyens de la combattre» (24 heures du 21 septembre 2005) :
Une des causes de l'augmentation de la délinquance est l'attention accrue que la police porte aux jeunes (...), qui fait gonfler la statistique. Traumatisée par la liberté que les jeunes ont conquise lors de Mai 68, la société a donné à la police un pouvoir répressif et, à la fin des années 1990, les désordres sociaux ont monté en flèche: manifs anti-G8, délinquance, incivilités, drogue.
L'augmentation constatée est une conséquence de cette reprise en main musclée !
La plupart des dirigeants d'entreprise et des caciques politiques ont fait profiter leurs affaires en adéquation avec les idées libérales distillées à l'époque: ouverture, mobilité, consommation, plaisirs personnels. La pub (...) les a récupérés pour mieux vendre (...) les objets des désirs suscités par l'individualisation et les besoins de consommation.
Maintenant que le système est en crise, ces mêmes personnes accusent les parents «soixante-huitards» de ces dérapages alors qu'elles en sont les vrais responsables. Car c'est la récupération des grands idéaux de l'époque pour les traduire en espèces sonnantes et trébuchantes qui a amené cette violence.
(...) Nos dirigeants (...) rendent criminogène une simple exaspération juvénile; un énervement devient une "incivilité", un cri de douleur une attaque contre l'autorité.
Cette société est basée sur la violence (...) des plus forts, la réussite des uns se faisant sur le travail dur des autres. (...) Beaucoup de "petites gens" sont laissés au bord de la route dans un état de frustration exacerbé (...).
Pour vraiment combattre (...) la délinquance, il faut revenir aux fondements de la pensée «soixante-huitarde», soit le respect de l'individu, la compréhension des phénomènes sociaux, (...) des solutions pacifiques aux conflits et aux problèmes de société — soit le «Peace and Love» des années soixante !
Georges Tafelmacher
Pully
Les Assises du Social – Maison de Quartier et le sociologue Vincent de Gaulejac
«Le moi de chaque individu est devenu un capital qu'il doit faire fructifier»
«La gestion managériale est devenue l'idéologie dominante de notre temps.» Devant un auditoire comble, le psychosociologue parisien Vincent de Gaulejac est venu présenter cette thèse mardi à Genève, ouvrant les Assises du social (1). «La gestion est présentée dans les manuels comme un ensemble de techniques neutres destinées à rationaliser et à optimiser le fonctionnement des organisations«, explique le chercheur. Or, ces méthodes, qui sont aujourd'hui appliquées autant dans les entreprises multinationales que dans de nombreuses administrations publiques, ont, selon lui, une orientation idéologique claire: «Derrière, il y a une représentation du monde et un système de croyances: l'humain n'est considéré que comme une ressource pour développer la rentabilité de l'entreprise. Ce type de gestion traduit les activités humaines en indicateurs de performances, et ces performances en coûts ou en bénéfices.»
Mobiliser la psyché
À cette idéologie correspond un pouvoir: le pouvoir managérial, qui s'est peu à peu substitué au pouvoir disciplinaire décrit par le philosophe Michel Foucault caractéristique de l'ère industrielle. Le nouveau pouvoir, apparu à la suite de l'avènement du capitalisme financier mondialisé, vise avant tout à mobiliser les esprits pour la bonne marche de l'entreprise. II ne suffit plus de «rendre les corps utiles et dociles», comme l'explicitait Foucault, il faut aujourd'hui susciter l'adhésion des esprits. La mobilisation personnelle devient une exigence de l'entreprise. Et même au-delà: «La gestion vise à transformer l'énergie libidinale en force de travail», poursuit de Gaulejac.
Pour produire cette adhésion, tout un arsenal idéologique est déployé: la gestion est associée au goût d'entreprendre, au désir de progresser, à la célébration du mérite et de l'excellence, et au culte de la qualité. «Le désir est sollicité en permanence: désir de réussite, goût du challenge, besoin de reconnaissance, récompense du mérite personnel.» Des carrières prometteuses sont ainsi présentées à ceux qui sauront se montrer "excellents": «L'entreprise propose à l'homme managérial de satisfaire ses fantasmes de toute puissance et ses désirs de réussite contre une mobilisation psychique intense.»
Pression, puis dépression
De Gaulejac constate que l'idéologie gestionnaire s'est étendue à la société dans son ensemble. «Le moi de chaque individu est devenu un capital qu'il doit faire fructifier», théorise-t-il. Que ce soit dans la vie professionnelle, sociale, amoureuse ou familiale: «Une femme doit être bonne épouse, excellente mère de famille, employée modèle, douée au tennis, soucieuse de son tour de taille et de poitrine, etc.», illustre le chercheur. Le problème? «A la pression, répond la dépression, diagnostique de Gaulejac, la culture de l'excellence met tout le monde dans une compétition acharnée pour toujours plus et toujours mieux. L'idéal devient la prescription de la normalité. Cela rend les gens malades. Burn out, angoisse permanente et tout type de troubles psychosomatiques en résultent.»
Paradoxe entraîné par cette logique: ceux qui travaillent crèvent de trop travailler, et ceux qui n'ont pas d'emploi meurent d'être marginalisés. «L'excellence crée l'exclusion», conclut le chercheur.
Le social genevois aux prises avec la gestion
«Les recherches de Vincent de Gaulejac correspondent à nos préoccupations dans le domaine du social», a affirmé Françoise Tschopp, directrice du Centre d'études et de formation continue pour travailleurs sociaux de Genève, en introduction à la conférence donnée par le sociologue mardi. Rencontré deux jours après, de Gaulejac se dit en effet frappé par la situation à Genève: «Je suis très impressionné par mon séjour en Suisse. Je ne pensais pas que la gestion managériale était aussi forte ici. On voit à l'œuvre ses outils aussi bien dans le champ du travail social que de l'Université, de la culture ou de la santé. Comme les "time sheets", des feuilles qu'il faut remplir pour justifier son emploi du temps. II y a des programmes "qualité", des systèmes d'évaluation, des mesures de l'activité. La réforme des hautes écoles de travail social se traduit principalement par l'arrivée de nouveaux types de gestion: on calcule tout, on mesure tout, on produit des indicateurs. C'est une gestion parles coûts, les aspects financiers prennent le pas sur les aspects relationnels.»
Le chercheur constate une insatisfaction généralisée, qu'il impute pour une bonne part au modèle managérial imposé par le haut: «Depuis que je suis arrivé, je ne rencontre que des personnes qui travaillent dans le social et qui me disent "ça ne va pas", "j'en peux plus", "on pète les plombs". Les gens ont le sentiment que les tâches qu'on leur demande n'ont souvent aucun sens. Ils contestent le fait d'appliquer des critères de qualité qu'ils ne considèrent pas eux-mêmes comme ayant de la valeur. Ils ne comprennent pas qu'on leur demande d'en faire plus, avec toujours moins de moyens.» Mais le sociologue se veut malgré tout optimiste: «Toute la société vous met sous pression. Cela provoque de grands malaises. Je remarque qu'on a peur d'en parler. Au départ, c'est chacun pour soi, chacun est mal sans trop savoir pourquoi, il n'a pas vraiment les mots pour le dire. Aujourd'hui, je crois que la situation est en train de changer. Les gens sont davantage disposés à communiquer sur ce sujet.» CKR
Au début des années septante, les contradictions du travail social (entre prévention et contrôle social) ont été révélées et ont fait débat public. Après les revendications émancipatrices de 1968, on craint alors l'organisation et la normalisation par l'État de la socialité.
Avec l'irrésistible ascension du libéralisme économique depuis quinze ans environ, le paysage a bien changé. Aujourd'hui, ce sont les mots "crise" et "exclusion" qui préoccupent les travailleurs du social. Au "nouvel esprit du capitalisme", on associe augmentation du chômage et de la précarité, mutations dans le monde du travail, incivilités, violences et répression, délire sécuritaire, remise en cause de l'État social. L'hégémonie de l'idéologie gestionnaire conduit à une augmentation des tâches administratives au détriment des prestations et du lien social.
Les Assises sont organisées par des professionnels (travailleurs sociaux, formateurs et chercheurs) qui souhaitent ouvrir un espace de parole nouveau en interrogeant les "logiques" désormais à l'œuvre dans les projets et les missions confiées aux travailleurs du social. Ils souhaitent aussi que les Assises soient une occasion de se positionner pour imaginer collectivement les contours de nouvelles formes de solidarité.
La Sociologie Clinique s'inscrit dans une tradition selon laquelle les phénomènes sociaux ne peuvent être appréhendés que si l'on y intègre la façon dont les individus les vivent, se les représentent, les assimilent et contribuent à les reproduire. Elle s'inscrit au cœur des contradictions entre objectivité et subjectivité, entre rationalité et irrationalité, entre structure et acteur, entre le poids des déterminismes socio-historiques et la capacité des individus d'être créateurs d'histoire. Elle se veut à l'écoute du sujet, proche du réel dans ses dimensions affectives et existentielles, attentive aux enjeux inconscients individuels et collectifs. Elle s'intéresse aux phénomènes sociaux et institutionnels dans leurs dimensions rationnelles, mais également imaginaires, pulsionnelles ou symboliques. Elle cherche à démêler les nœuds complexes entre les déterminismes sociaux et les déterminismes psychiques, dans les conduites des individus ou des groupes.
(1) Les Assises du social se tiennent du 1er au 18 novembre à la Maison de quartier de la Jonction. Elle sont organisées par les écoles de travail social, CEFOC, ESSP, HETS-IES et les deux syndicats actifs dans la fonction publique genevoise (le SIT et le SSP). Une vingtaine de conférences, séminaires et ateliers auront lieu.
Vincent de Gaulejac
est né à Croissy-sur-Seine (Yvelines), le 10 avril 1946
Professeur de Sociologie à l'UFR de Sciences Sociales de l'Université Paris 7 Denis-Diderot
"ÉDITO" du 24heures du 16 Juillet 2011
«L'économie suisse doit rompre avec son passé cartellaire. Mais faut-il tordre la réalité ?»
Le franc suisse est fort, l'euro chute et les prix en Suisse ne baissent pas.
Scandale !
De toutes parts - et surtout des milieux voués à défendre les gentils consommateurs face aux méchants distributeurs - s'élèvent des cris, pour hurler au racket, à l'entourloupe et au remplissage de quelques poches déjà bien pleines. Il est temps de résister à ces sirènes simplistes. Bien sûr, le problème du niveau élevé des prix suisses existe. Et dans certains secteurs bien connus - l'automobile, le livre, les médicaments, entre autres -, les entraves à l'adaptation des prix ou à la concurrence libre sont patentes.
Mais le tableau est loin d'être aussi uniforme que le dépeignent les fabricants de slogans qui, eux, ne coûtent pas cher à la production. Discutez avec les responsables locaux de vos grands magasins, pour voir. Passé les propos rassurants d'usage, ils vous diront les difficultés qu'ils connaissent, plombés (c'est la loi du marché) par l'essor cette fois bien réel des hypermarchés venus d'Allemagne, qui taillent en coupes claires dans leurs chiffres d'affaires et leurs marges. Jusqu'ici, certaines régions échappaient encore à ce phénomène. Depuis ce printemps, il s'étend à toute la Suisse. À Lausanne, par exemple, il frappe tout le monde, surtout dans le secteur des denrées alimentaires. Il y a quelque chose d'étrange à entendre les mêmes voix réclamer en même temps des baisses de prix pour des produits élaborés ou transformés en Suisse, et des hausses de salaires pour celles et ceux qui œuvrent dans ces usines. Des yogourts suisses aux prix allemands? Difficile d'y parvenir sans menacer les chaînes de production, et les emplois qui vont avec. Ce n'est pas de la démagogie de le rappeler.
Soyons clairs: le seul vrai remède s'appelle concurrence. Ce principe est défendu par des lois et une commission fédérale, qui doit faire son travail et disposer des outils institutionnels et du soutien politique nécessaires. S'il y a des entraves illégales à la libre fixation des prix, celles-ci doivent être poursuivies avec vigueur. L'économie suisse doit rompre avec son passé cartellaire. Mais faut-il pour cela tordre la réalité et convoquer la vindicte populaire ?
Pour le coup, c'est une tactique à bon marché.
Dossiers préparés par ©Georges Tafelmacher & SuisseForum