Depuis toujours, l’école et la violence ont partie liée. Du régent médiéval armé de ses verges à l’instituteur du village, même combat musclé contre la paresse et l’indiscipline.
La sempiternelle discussion sur la valeur éducative de la Fessée refait surface chaque fois qu’un adulte bien-pensant et sûr de lui est confronté à l’opposition enfantine, à la violence juvénile, à l’impertinence des jeunes et leurs révoltes larvées. Mais à aucun moment n’est posée la question centrale du pourquoi et du comment de ces comportements soi-disant "mauvais et punissables" et de l’implication de l’adulte "formateur" dans l’escalade conflictuelle qui mène à la Fessée !
À entendre les enseignants, ou tout au moins certains de leurs représentants qui tirent la sonnette d’alarme, on pourrait croire que nos petits écoliers seraient devenus d’affreux petits monstres terrorisant ces derniers. Selon une récente étude, trois enseignants sur quatre sont confrontés, plusieurs fois par semaine, à des problèmes de discipline. Le tiers des maîtres serait même obligé de faire la police dans les classes plusieurs fois par jour. Une situation intenable qui a poussé l’Association faîtière des enseignantes et des enseignants de Suisse à réagir. Elle a récemment publié un manuel pour venir en aide aux profs en détresse.
Le phénomène se développe en Europe, l’insubordination des élèves sape l’autorité des pédagogues. Autorité: le mot est lâché. C’est parce que celle des enseignants n’est plus respectée que les choses iraient mal. Le retour à l’autorité n’est d’ailleurs pas uniquement réclamé dans les écoles. La famille et la société sont également interpellées.
Il s’agit en quelque sorte de sortir du laxisme hérité de Mai’68. Faut-il pour autant réintroduire une discipline de fer dans les classes? Il y a fort à parier qu’une telle manière de procéder serait un coup d’épée dans l’eau. Cela d’autant plus que dans une société qui perd ses repères et ses valeurs, les "petits soldats pétris de discipline" ne sont sûrement pas les mieux armés pour faire chemin.
Que faire alors si les enfants d’aujourd’hui, et c’est heureux, ne se satisfont plus d’un sec et sonnant: "parce que c’est comme ça"? Que faire si l’on est enseignant, aussi père de famille, et que l’on ne peut plus s’appuyer sur le seul prestige personnel, sur l’aura que cette "fonction" nous conférait il n’y a pas si longtemps encore ?
Il serait illusoire de croire que le laisser-aller est la solution. Responsabiliser ses enfants ou ses élèves, encourager leur indépendance, c’est bien. Mais à condition que cela se fasse dans un cadre bien établi où les droits et les devoirs des uns et des autres sont clairement délimités. L’autorité, à ne pas confondre avec l’autoritarisme, ne devrait pas être pesante si l’on arrive à faire la démonstration qu’elle peut être utile. Et qu’un élève qui s’y astreint augmentera ses chances d’avoir de bonnes performances scolaires, par exemple.
Ce n’est qu’à ce prix-là qu’on évitera le pire: à savoir le retour de la politique du bâton.
©Construire
Le retour de la discipline dans les écoles: Règles claires à respecter, menaces d’exclusion dans les cas graves, la tendance est à nouveau à la rigueur dans les classes.
Construire - On enregistre aujourd’hui un retour à davantage de sévérité dans les écoles. Dans le canton de Berne, on évoque même la possibilité de permettre aux enseignants d’exclure de leur propre chef un élève particulièrement chahuteur ou difficile. Une bonne idée ?
M-C.T - Je ne connais pas le contenu exact de cette proposition. Mais l’idée en tant telle ne me plaît pas beaucoup. Une décision d’exclusion, même très temporaire, à l’encontre d’un élève est extrêmement grave. Elle devrait rester tout à exceptionnelle et surtout ne jamais être prise par une seule personne, mais au sein d’une équipe et après avoir entendu les parents et l’élève. L’enseignant confronté à un problème de discipline doit savoir qu’il n’est pas tout seul, qu’il peut dialoguer avec ses collègues, les responsables de l’école, les parents et le Service médico-scolaire de sa commune.
Construire - On constate également un phénomène de "burn out" chez certains enseignants qui n’arrivent plus à tenir leur classe.
M-C.T - C’est effectivement une réalité qui nous préoccupe et que l’on ne doit pas cacher. Ces enseignants qui paniquent et qui craquent face à des élèves trop turbulents ne sont pas des exceptions. Et il ne s’agit pas seulement de personnes particulièrement sensibles. On apprend aujourd’hui aux élèves à être plus autonomes, à prendre la parole, voire à contester ce que dit le professeur. C’est un progrès. Mais la tâche de l’enseignant ne s’en trouve pas facilitée.
Construire - Que faire pour éviter ce genre de situation ?
M-C.T - Beaucoup d’instituteurs et de professeurs ne sont pas préparés à ces exigences. C’est donc essentiellement une question de formation et aussi de solidarité au sein de la profession. L’enseignant a trop longtemps été laissé seul face à sa classe. En cas de conflit ouvert avec un élève, il ne devrait plus hésiter à demander un coup de main à un collègue. Une intervention extérieure peut parfois débloquer une situation qui paraissait sans issue et éviter une surenchère dans le conflit.
Construire - Et du côté des élèves ?
M-C.T - Donner davantage d’autonomie aux élèves, c’est bien. Mais il faut faire attention à ne pas les charger d’une trop grande responsabilité. Les enfants ont besoin d’être rassurés et encouragés. Ils ont aussi et surtout besoin qu’on leur fixe des limites et des repères clairs. La plupart des classes et des écoles romandes établissent d’ailleurs aujourd’hui des chartes en matière de discipline, chartes souvent élaborées en commun avec les écoliers et qu’ils se doivent de respecter sous peine de sanctions, aussi décidées en commun.
©Construire
Relativement à l’article intitulé «Le retour de la discipline dans les écoles», j’aimerais bien donner mon avis: la violence des élèves dans les établissements scolaires est un phénomène tout à fait nouveau et qui n’existait pratiquement pas jadis.
Cette violence en question n’est qu’une conséquence directe des différents problèmes sociaux de plus en plus nombreux que vivent les familles actuellement.
Je ne pense pas qu’on puisse remédier à ce phénomène en accordant aux élèves plus de liberté d’agir, d’autonomie et d’indépendance à cause d’un possible abus qu’entraîneraient une anarchie et une indiscipline incontrôlable. Au contraire, il faut que le personnel de l’école, et essentiellement le corps enseignant, soit plus exigeant quant à la discipline, le respect d’autrui et le bon comportement individuel dans ce lieu sacré.
Il est temps que l’enseignant reprenne son ancienne image, son autorité, et qu’il redevienne comme avant une personne sûre d’elle et seul juge dans son cercle de travail. Cela évidemment tout en respectant lui aussi ses élèves, en assurant le bon contact humain et surtout en étant ouvert avec eux, les écoutant et les aidant dans la mesure du possible pour résoudre leurs problèmes.
Naima K., (Lu) ©Construire
En réponse à la missive de Mme Naima K., j’aimerais pouvoir formuler quelques objections :
- la violence des élèves dans les cours de recréation a toujours existé, le monde des enfants est dur et sans pitié, à l’image de la société dans laquelle ils vivent. Ce sont les formes qu’a prise cette violence qui changent mais l’agressivité de base reste terriblement vivace: le racisme, l’élitisme, la domination des clans, les jeux de guerre et de bataille, le pouvoir des grands sur les petits, le sadisme du corps enseignant, la chasse aux différents, aux timides et à tous ceux qui ne sont pas comme les autres, etc, étaient des actes courants dans les établissements scolaires de tous les temps.
- la violence est une conséquence d’un refoulement subi par une répression autoritaire et une discipline moralisante. La violence n’est que l’ultime façon que l’inconscient a de se manifester lorsque, emprisonné dans un carcan étouffant, il cherche à s’en défendre. La violence du jeune n’est que sa tentative désespérée de se retrouver, de s’habiter face au pouvoir autoritaire et ses exigences, face au modèle totalitaire du "bon comportement individuel" de la société.
- l’anarchie n’est pas gabegie, ni indiscipline, c’est une vision de la vie en société; par contre notre monde issu du moralisme du 19ième siècle, est devenu gabegie par les abus commis au nom de la société de consommation, de la compétition, du profit et des valeurs absconses que l’on nous professe actuellement. Au nom de la prospérité, de l’enrichissement, du développement, nous avons fabriqué une société sans respect livrée à la merci de tous les hommes d’affaires opportunistes qui sèment une pagaille pas possible dans la tête des gens.
- L’ancienne image de l’enseignant avec son droit de frappe disciplinaire sur les élèves n’est vraiment pas une image très progressiste pour les jeunes qui, empêtrés dans les rets d’une société manipulatrice à souhait, cherchent d’autres fonctionnements plus en rapport avec les connaissances humaines que nous avons acquises depuis quelque temps: l’autogestion, la participation, la résolution pacifique des conflits, l’engagement personnel et volontaire, etc.
Par contre, il y a des vérités qui méritent d’être connues :
- le but premier de l’école est d’amener les enfants à leur autonomie et leur indépendance, en les permettant de faire l’apprentissage de la liberté d’agir par la prise de conscience de leur personne et de leur environnement, de leurs aspirations et désirs. Les refuser cela au nom d’un possible abus hypothétique équivaux à un déni de leur personne et c’est une des premières raisons du passage à la violence.
- la discipline autoritaire n’a jamais résolu les problèmes de violence ni les conflits entre humains.
- la seule façon de remédier au phénomène de la violence est précisément d’accorder aux élèves plus de liberté d’agir, d’autonomie et d’indépendance et par une participation active et empathique des enseignants, lentement amener les enfants à une compréhension holistique de la vie et de leur entourage. C’est le vrai respect des autres.
- le respect de l’autre passe d’abord par une large compréhension de la psychologie de l’inconscient.
Et si la seule solution que vous proposez pour résoudre ce problème est plus de discipline, plus de répression, plus d’exigences, toutes choses qui aggraveront la situation, alors le problème ne sera jamais résolu. Or cette violence est le fait de la société toute entière et elle est présente dans tous ses aspects et chez chaque individu. Réduire le problème de la violence à une question de bon comportement est la meilleure façon de la renforcer.
©Georges Tafelmacher
Un fait divers bien trop divers pour qu’on le commente dans les journaux...
Carole a tout juste 8 ans. Un peu avant la fin de l’année scolaire, ses camarades de préau se sont "amusés" à la balancer comme une corde à sauter, puis à la lâcher brusquement. Conséquence: la petite s’est cassé un bras et esquinté la colonne vertébrale. Bien sûr, à force de cris et de pleurs, on a fini par la conduire à l’hôpital... mais pas touche à ses camarades! Ils n’ont pas été plus inquiétés que leurs parents...
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ces petits s’en prennent à Carole, dont la maman, solo, n’ose pas porter plainte par crainte de représailles... Dans ce préau, on laisse les mômes régler leurs affaires entre eux... Surtout ne pas contrarier ces chers petits. Il sera bien temps de réagir quand Carole aura été tuée ou violée par des camarades à peine plus âgés !
Excusez-moi, mais les mômes mal (ou pas) élevés (du tout), y en a simplement marre !
Personnellement, j’en ai assez de ne plus pouvoir mener une conversation avec de jeunes parents sans être interrompue toutes les dix secondes par leur progéniture! Assez de me faire traiter de gros cul plein de merde (sic!) devant des papas épatés par les traits d’esprit de leurs mômes! Assez de voir des gamins enduire mon canapé de glace au chocolat sous l’œil attendri de leurs génitrices! Assez de ces Abdallah à la Tintin, enfants-rois pour les quels les couples sacrifient tout, compris leur relation mutuelle. Assez de cette lâcheté des parents qui préfèrent fuir les conflits plutôt que les affronter comme dans toute relation normale entre deux générations !
N’importe quel éducateur vous le dira, un môme, ça a besoin de limites, de cadrage... Quelques mot bien sentis ou à la rigueur une bonne fessée en privé n’ont jamais traumatisé personne...
Au fait, juste une question à ces parents, profs et entourage mollassons: ça va donner (et vous faire) quoi dans dix ans, un môme devenu costaud à qui l’on n’a jamais rien refusé ???
©Construire - Christine Ley
L’Éducation par la Fessée
Et on continue, sans répit, dans des articles parus dans cet hebdomadaire, de s’en prendre aux parents mollassons de "gamins mal ou pas élevés" et de les rendre responsable de la montée de la violence partout. La dernière en date: un commentaire prônant la "fessée" pour les "mômes" par Mme. Christine Ley.
Elle laisserait entendre que ces problèmes de déprédation et de violence est le fait des "pratiques" d’enfants pas châtiés et peuvent être résolus par les baffes alors que nous vivons dans une société faite de violence issue des politiques de droite: concurrence économique, rapport de force entre les nantis et le peuple, poids commercial disproportionné au social, déséquilibre entre les directions et les employés, entre magistrats et citoyens, éducation par la faute et la punition, etc.
Mais elle pose certaines questions aux quelles j’aimerais bien répondre.
La sempiternelle discussion sur la valeur éducative de la Fessée refait surface chaque fois qu’un adulte bien-pensant et sûr de lui est confronté à l’opposition enfantine et à la violence juvénile ou déstabilisé par l’impertinence des jeunes et leurs révoltes larvées. Mais à aucun moment n’est posée la question centrale du pourquoi et du comment de ces comportements soi-disant "mauvais et punissables" et de l’implication de l’adulte "formateur" dans l’escalade conflictuelle qui mène à la Fessée.
Les conséquences tangibles de l’éducation par la correction physique qu’a reçu nos prédécesseurs, sont, rien qu’en ce dernier siècle, deux guerres mondiales, ces boucheries révoltantes. À une époque où pour réprimer des mauvais penchants on montrait sa force en brandissant la verge, l’escalade de la violence était inévitable et l’état de guerre et sa destruction totale avéré. Là où les coups et la force primaient, les crimes de sang étaient plus fréquents.
En analysant de près le problème de la violence dans cette société, de sérieux doutes peuvent être soulever quant-à la réelle efficacité éducative de cette forme d’élevage. Des statistiques compilées par un groupe universitaire d’étude des prisons américaines montrent que 85% des délinquants emprisonnés pour actes de violence ont reçu des coups par leurs éducateurs pendant leurs jeunesses. Selon une autre étude gouvernementale américaine, commandée à la suite des fusillades dans ses écoles, les statistiques montrent que les États dans lesquels la correction physique est régulièrement appliquée, les taux de violence sont aussi les plus élevés.
D’aucuns voient une montée de la violence dans nos sociétés actuelles mais la réalité démontre qu’en général là où l’éducation respectueuse de l’enfant a été instaurée, la violence a tendance à baisser. Les situations dégénérées qui sont dénoncées et épinglées par les masses médias, sont le résultat de répressions psychologiques, de menées traumatisantes et de contrôles totalitaires de l’enfant par les pouvoirs hégémoniques des parents. En plus, il y a toujours des opportunistes qui récupèrent les situations de contestation et de malaise juvénile pour justifier le recours à la baffe, à la reprise en main forte, au maintien de l’ordre. Malgré les apparences, il y a beaucoup plus de parents "fesseurs" que de parents laxistes. La grande majorité des gens continuent à punir les prétendus manquements de leurs gosses en donnant des tapes, baffes, gifles et fessée. Rien ne dit que ce serait le laxisme et la permissivité qui entraîne la violence, les rackets et les déprédations.
Que la morale publique recommande l’usage du châtiment est une raison de plus pour s’en méfier lorsqu’elle se mêle de comportement et de se poser la question de la responsabilité de ces moralisations manichéennes dans l’escalade de la violence! La fessée est un moyen totalement moyenâgeux d’éducation et le recours à ce type de punition est toujours signe d’une grave dégradation dans les relations entre les adultes et leurs enfants. Par la fessée, l’adulte s’abaisse à la violence et entraîne l’enfant dans le refoulement et la tristesse, le rendant d’autant plus victime. L’escalade des mauvais sentiments et des comportements réfractaires est inévitable. D’ailleurs, en ces temps de violence biscornue et de dangereux maniaques, venir parler de "fessées" par rapport à l’éducation des enfants, est un très mauvais exemple pour eux. Cela ne les apprend que la haine de l’adulte.
Je connais des braves parents pour qui la fessée est un moyen d’éducation, ils veulent que leurs enfants deviennent des gens bien, vénérant le travail. Ils se débattent à présent avec des jeunes adultes bornés, réfractaires, paresseux et lâches. Leurs seules réactions sont de regretter de ne pas avoir donné des fessées plus dures lorsque leurs enfants étaient encore petits et ils sont complètement inconscients du fait que ces jeunes sont le résultat de leurs impératifs catégoriques et de leurs manières fortes. Ils ont oublié qu’il n’y a que quatre principes qui devraient présider nos relations avec les enfants :
©Georges Tafelmacher
Ils ont besoin de modèles
Les adolescents sont-ils aussi violents qu’on le prétend? Pour Christian Müller, pédopsychiatre, la violence des jeunes est la conséquence de phénomènes de société. Son analyse.
Coopération - Quelle est la raison qui vous a poussé à entreprendre un travail sur les comportements violents et leurs dérives vers toutes sortes d’intégrismes ?
Christian Müller - C’est le résultat d’un puzzle qui s’est peu à peu mis en place, mais dont les pièces, au départ, n’avaient aucun lien les unes avec les autres. J’ai eu affaire, notamment, à des histoires de meurtre ou d’assassinat. Des cas qui révélaient des personnalités habitées par une pensée délirante.
Qu’entendez-vous par "pensée délirante" ?
Les gens habités par une pensée délirante ont le sentiment d’être persécutés. Ils se sentent lésés et sont persuadés qu’ils ont le droit de décider du sort de leur partenaire. Ils s’estiment menacés à tel point qu’ils ressentent le besoin de renverser la menace et de la diriger contre les autres. La pensée délirante est suivie du passage à l’acte.
Existe-t-il un profil type de la personne sujette à une pensée délirante ?
Ce sont plutôt des gens très limités dans leurs possibilités de participer à une vie collective et d’assumer leur rôle et leurs responsabilités. Un peu comme l’auteur de la tuerie de Zoug. Actuellement, les États-Unis connaissent un phénomène très préoccupant: celui des violences collectives de jeunes, dans les collèges, qui vont jusqu’à tuer leurs camarades.
Les jeunes sont-ils plus violents aujourd’hui que ceux des générations précédentes ?
Je prétends qu’il est faux d’attribuer les problèmes de la société à la jeunesse. Il existe une pensée, que j’appelle "biologisante", qui cherche dans la biologie des êtres humains les causes de leur comportement. Attribuer la violence aux adolescents reviendrait à dire que la violence est limitée à une phase de la vie. Ce qui est totalement erroné. La violence est induite par des phénomènes de société. En fait, les adultes ont projeté leurs problèmes sur la jeunesse pour les traiter à ce niveau-là.
Qu’est-ce qui peut conduire un jeune à la violence et au fanatisme ?
Un certain nombre d’adolescents se trouvent en difficulté par manque de contacts avec les adultes. Ils s’organisent comme ils peuvent avec les moyens d’identification dont ils disposent: la télé ou la rencontre avec d’autres jeunes qui ont les mêmes problèmes. Cela mène aux situations que connaissent, notamment, les banlieues françaises ou allemandes avec leurs kilomètres de HLM.
Les adultes devraient donc davantage chercher le contact avec les jeunes ?
Dès que l’on parle avec eux, on s’aperçoit qu’ils ne sont ni méchants ni violents ou révoltés comme on le prétend. Au contraire! Dans leur grande majorité, ils se montrent plutôt coopératifs. J’ai beaucoup parlé avec des professeurs de lycées français. Certains ont réussi à endiguer la violence dans leur collège. Simplement en étant moins laxistes et en laissant de côté les grandes théories soixante-huitardes sur la jeunesse révoltée contre la société. Mais dès la sortie de l’école, au moment où ces adolescents devraient entamer une formation, beaucoup d’entre eux sont, hélas! rattrapés par la situation sociale.
Qu’est-ce qui fait qu’un jeune se tourne vers des mouvements sectaires, voire intégristes ?
Le besoin religieux, spirituel, existe très certainement chez de nombreux jeunes. Celui qui entre dans une secte recherche des valeurs auxquelles il peut s’identifier. Et peut-être aussi une sécurité idéologique qui lui donne l’impression de bien différencier ce qui est bon de ce qui est mauvais. Or, les mouvements sectaires dogmatiques font ce clivage entre bon et mauvais. L’intégrisme est la réaction à un phénomène social. Face à une société qui se transforme rapidement, certaines personnes préfèrent s’accrocher à des valeurs traditionnelles qui les sécurisent.
Un certain nombre d’adolescents sont attirés par les mouvements néo-nazis. Pourquoi ?
La première chose que l’on constate, à l’école déjà, c’est que les jeunes qui adhèrent à ce genre de mouvements se marginalisent par rapport à leurs camarades. Cela commence par l’adoption d’un accoutrement différent. Parfois, ils réussissent à s’imposer comme leader, même négatif, entretenant cette idée qu’il vaut mieux être quelqu’un de mauvais que rien. Ces jeunes ont peu de modèles d’identification qui leur permettraient de rééquilibrer leurs sentiments.
Les garçons sont-ils plus concernés que les filles en matière d’actes de violence ?
En pourcentage, très certainement. On a longtemps relevé que les femmes sont plus nombreuses à être hospitalisées en psychiatrie, alors que l’on a peu insisté sur le fait que les hommes sont plus nombreux en prison ou dans les mouvements paramilitaires. Chez l’homme, la souffrance psychique se manifeste plus souvent par des comportements agressifs, voire délictueux. Il se sabote, mais ne se remet pas en question. La femme a plus tendance à déprimer. Parce qu’un jour elle aura peut-être des enfants, elle éprouve davantage le besoin de s’intéresser à la relation. Du point de vue de la capacité relationnelle, l’homme souffre d’un réel handicap. Cela se remarque aussi chez les adolescents. Il est plus facile d’inviter une jeune fille à entreprendre un travail psychothérapeutique qu’un garçon.
Les dérives de certains jeunes sont-elles dues à une faillite de notre système éducatif ?
De grands efforts ont été consentis pour améliorer le système éducatif. Mais il faut abandonner l’idée que la bonne éducation amène forcément à un bon résultat. Les politiciens corrompus comme les mafieux sont aussi passés par l’école publique. Quand on parle d’éducation collective, la discussion doit être menée à un autre niveau: celui de nos valeurs culturelles et de notre capacité à résister à toute forme de suggestion de masse ou d’hypnose. Je suis convaincu qu’il est tout à fait possible de manipuler quelqu’un contre son gré.
Notre société n’est-elle pas trop laxiste, trop permissive ?
Je ne partage pas du tout ce point de vue. Fixer des limites sans contenu n’a pas beaucoup de sens. À mon avis, un éducateur doué - parent ou enseignant - doit être en mesure de confronter le jeune avec la réalité et de lui montrer ce qui est possible dans ce monde et ce qui ne l’est pas. Je m’entendrai très bien avec un jeune si je parle avec lui de sa planche à roulettes. Les limites seront les règles de la circulation, la gravité, etc. Mais dans ce cas, ce ne sont pas les limites qui m’intéressent. Je vise à plus de discipline, de compétences et de savoir-faire. Et c’est bien de cela dont nous avons besoin: davantage de savoir-faire. Les jeunes admirent les adultes qui ont la maîtrise de quelque chose.
Propos recueillis par Jean Pinesi.
Coopération 26/2002
Passionné de jazz
Né le 18 mai 1949 à Zurich, Christian Müller a passé son enfance entre Berlin et Vienne. C’est dans sa ville natale qu’il commence à travailler en psychiatrie sociale, d’abord en tant qu’ergothérapeute. Parti à Lausanne, il exerce son métier de pédopsychiatre dans une unité de thérapie de famille et de prévention. Arrivé à Neuchâtel il y a 15 ans, il est médecin-chef à l’office médico-pédagogique du secteur Littoral neuchâtelois. Cet homme marié et sans enfants est également un grand passionné de violon et joue de préférence du jazz.
La violence des jeunes est un faux problème qui renvoie à un problème de société !
À quand une dénonciation de la violence dans les places de travail, dans les rapports hiérarchiques, dans la domination scandaleuse des rapports de forces étatiques et de la compétitivité économique ?
À quand la dénonciation de la représentation de la violence dans la pub quotidienne, dans les nouvelles du jour, dans les cinémas, dans les campagnes de prévention ?
À quand la dénonciation de la guerre, des préparations à la guerre, des occupations militaires, des forces de frappe, des mentalités supérieures, des flics derrière chaque citoyen ?
À quand la dénonciation des moralismes contraignantes, des impératifs catégoriques, des injonctions jugeantes, des lois absurdes, et surtout de la mainmise entière et complète du fric et de l’économie dans nos petites vies ?
Ce qui m’étonne c’est qu’il n’ait pas beaucoup plus de violence étant donné l’étendue de la répression policière, des contraintes psychologiques et sociologiques, des injustices et déséquilibres...
G.Tafelmacher
Liens avec le thème
D’aucuns s’inquiètent de l’augmentation des violences et de la délinquance juvénile et ils mettent toute la faute sur ces parents «’68tards» qui... que... et des meilleurs, les accusant d’être trop laxistes, pas assez autoritaires et de ne pas aimer la discipline.
Soit ! Mais quelles sont les véritables causes de cette supposée augmentation de la délinquance ?
D’abord, y a-t-il une augmentation ou cela n’est-t-il pas dû à l’attention accrue que la police porte à certaines catégories de gens, jeunes excitables en préférence et qui fait gonfler la statistique d’une manière unilatérale et équivoque? Ensuite, la société, traumatisée par la liberté que les jeunes ont conquis pendant les années 1960’s, s’est ravisée et ce fut la reprise en main par un pouvoir fort donné à la police où la répression et l’emprisonnement ont repris leurs statuts de contrôle social et, malgré cela, la fin des années 1990 était marquée par une montée en flèche des désordres sociaux – manifs anti-G8, délinquance généralisée, incivilités, drogue, accidents de la route, etc...
L’augmentation constatée ne serait-elle pas une des conséquences de cette reprise en main musclée ?
Pour rappel, la plupart des dirigeants d’entreprises et des caciques politiques de nos jours ont été des enfants en mai’68. Les uns et les autres ont bien fait profiter leurs affaires en totale et parfaite adéquation avec les termes très libéraux distillés à cette époque: ouverture, mobilité, consommation, plaisirs personnels et ils se sont même fait laudater pour leur esprit d’entreprise, de modernité et leur sens du progrès. La pub n’a pas manqué de récupérer l’esprit «’68tard» pour mieux vendre aux masses les objets des désirs suscités par ses démarches "psychologisantes" basées sur l’individualisation et les besoins de consommation.
Maintenant que le système est en crise, ces mêmes personnages mettent sur le dos des «’68tards» les dérapages de cette société sans d’abord voir en eux-mêmes leurs responsabilités dans cette situation. En effet, c’est le fait d’avoir récupérer les grands idéaux de cette époque pour les traduire en espèces sonnantes et trébuchantes qui a sonné le glas de cette expérience et qui a mené la mentalité de cette société dans le gouffre de la violence. De venir après cela designer les seuls «’68tards» les fautifs de l’évolution des mœurs, est trop court !
Les principaux instigateurs du sentiment d’insécurité se trouvent d’abord chez ces personnes qui veulent diriger cette société: par leurs attitudes condamnatoires, jugeantes et leurs solutions répressives pour juguler ce phénomène, elles minent le terrain et rendent une simple exaspération juvénile criminogène, un énervement devient une "incivilité" et un cri de douleur, une attaque contre l’autorité.
Cette société toute entière est basée sur la violence, la réussite des uns se faisant sur le travail dur des autres. Faite de guerre économique, de compétitivité, de concurrence et de l’obligation d’être le meilleur, cette violence règne en maître absolu. Les seuls à se tirer d’affaire, ce sont les plus charismatiques, les plus forts, les plus doués et il n’y a qu’eux qui reçoivent gloire et succès. Cela laisse beaucoup de "petits gens" au bord de la route dans un état de frustration exacerbé puisque l’intégration ne peut se faire que par les capacités de réussite économique et par les forces charismatiques, qui sont visiblement très élitistes et indubitablement discriminatrices.
Si nous voulons vraiment "faire quelque chose" face à la supposée délinquance, il faudrait revenir aux fondements de la pensée "’68tarde", soit le respect de l’individu et de ses sentiments, la compréhension des phénomènes qui nous régissent, la recherche de solutions pacifiques au conflit et aux problèmes sociaux et l’amour de son prochain, soit le "Peace & Love" des années 1960 dont la devise était :
G. Tafelmacher
P U L L Y
(*) Lisez ce qui a réellement paru et comptez les différences !!
Il y en a en tout cas - 10 !!
Madame la Conseillère d’État,
Après le message négatif reçu de la part de Mme. Véronique Pasquier, responsable de «La Question du jour» du 16.12.2008 (*), je me permets de m’adresser directement à vous car je tiens à ce que vous receviez les commentaires de personnes qui ne sont pas complètement sous l’emprise de l’idéologie de la répression, du discours "politiquement correcte" de la prévention et de l’autoritarisme guerrier, armé et policier pour résoudre les problèmes de la violence sociétale et autres troubles qui secouent notre société en ces temps de crise. Depuis le tournant du siècle et du millenium, la méthode forte a été appliquée d’une manière lourde pour venir à bout des problèmes de société et contrairement à ce qui a été espéré, les problèmes de violence n’ont pas diminué pour autant et nous pouvons même constater qu’en général, la violence s’est durcie. Plus grave, une forme plus exacerbée d’agressivité s’est propagée dans des couches de la population jusqu’ici exemptes – préadolescents, marginaux, démunis, automobilistes, etc.
La réponse aux problèmes de société par la violence administrative et étatique tape complètement à côté de la plaque et n’a aucune valeur éducative ou de prévention. Au contraire, cela exaspère les gens et ils seront encore plus braqués et surtout, trop nerveux et trop préoccupés à ne pas se faire "choper", ils seront d’autant plus susceptibles de commettre des bévues inconscientes. En agissant de la sorte, vous ne faites que de criminaliser les automobilistes et les comportements déviants que vous souhaitez voir disparaître seront paradoxalement renforcés. Ce sera l’escalade et le cercle vicieux dans sa forme la plus aboutie où à chaque "coup de poing" policier, l’inconscient collectif répondra par un refus atavique de cet ordre établi.
Vous pensez que cette opération "coup de poing" ne visera que les chauffards mais en réalité, dans la pratique, tous les automobilistes seront affectés par ces contrôles inopinés qui se veulent aussi préventives et tous les automobilistes qui seront pris dans ces contrôles devront baster et adopter une attitude de soumission vis-à-vis de l’autoritarisme policier. Vous les inculquerez plutôt un dressage canin censé dompter leurs «mauvais penchants», soit la discipline "sergent-major" et la peur du gendarme. Vous dites juger en effet nécessaire de rappeler aux conducteurs en général les règles élémentaires de la circulation pour contrer une inquiétante recrudescence des accidents. Mais devriez-vous absolument le faire par la manière forte car si au cours du dernier semestre, le canton ayant enregistré douze morts de plus qu’à la même période en 2007, il faudrait nous expliquer pourquoi depuis cette année où la police a été particulièrement active, cette moyenne n’a pas baissé. Les applications de la loi sur la circulation routière ayant été grandement renforcées depuis maintenant au moins deux années pleines, il faudrait aussi nous expliquer pourquoi les automobilistes n’ont pas retenu la "leçon" et continuent à se tuer sur les routes malgré le contrôle policier renforcé !
Et que dire de la violence dont vous faites preuve lorsque vous utilisez ces expressions lourdes de signification que sont «guerre aux chauffards», «coup de poing», «taper pour faire mal», «délinquance routière» et des meilleures... ?
Puis-je vous suggérer d’étudier vos classiques de psychologie pour être plus à même d’apporter une véritable réponse responsable et humainement digne au problème de la violence dans nos sociétés dites «civilisées» et de laisser tomber ces méthodes à la Napoléon III où l’on tirait au canon sur les grévistes, les insubordonnés, les révoltés et les pauvres pour les imposer un respect absolu et inconditionnel de l’autorité...
P.S. Rien de neuf sous le soleil !
La guerre aux chauffards en en 1924 !
Voici ma réponse à cette question du jour du 24 Heures du 16.12.2008 :
Et vous, qu’en pensez-vous?
Approuvez-vous le renforcement des contrôles routiers pendant les Fêtes ?
Commentaire :
À chaque problème de société, on sort les poings pour taper et faire mal. Mais lutter contre le mal en faisant mal est le moyen le plus sûr pour empirer le problème et perpétuer le mal. Excellente manière pour justifier le renforcement de la police et du contrôle social, serait-ce là le but final recherché ?
Et si on proposait de donner des «coup de poings» contre ces politiciens qui croient tout résoudre par la force, qu’en penseraient-ils ?
G.P.T.
* L’abondance des réponses ne nous a malheureusement pas permis de publier votre commentaire.
Véronique Pasquier - La Question du jour - 24 Heures
«La régression, évidente, est liée au durcissement des conditions de travail et des relations humaines, au triomphe de valeurs égoïstes...»
Depuis toujours, l’école et la violence ont partie liée. Du régent médiéval armé de ses verges au "roille-gosses" – c’est ainsi qu’on appelait l’instituteur du village – même combat musclé contre la paresse et l’indiscipline. Mes lecteurs eux-mêmes n’ont-ils pas subi à l’école des punitions, pas forcément sous forme de coups, qui leur laissent encore aujourd’hui un goût de peur, de honte, peut-être d’injustice?
Cette violence magistrale est censée répondre à la malice des élèves et à leur propre violence: celle qui les oppose aux plus petits, par des brimades souvent cruelles, et à leurs pairs, dans des affrontements allant de l’injure à la bataille rangée – sans oublier les déprédations et les sévices sur les animaux.
Hélas, cette répression énergique est souvent allée à fins contraires, plus les punitions sont sévères, plus elles risquent de provoquer de sentiments négatifs, dépréciation de soi-même et des autres, révolte, désir de vengeance. Tout cela peut se traduire par des actes de violence aggravée, appelant des sanctions plus vigoureuses encore: le cercle vicieux se referme.
L’institution scolaire a essayé de sortir de cette impasse. Dès les années soixante, elle est devenue moins rigide. Les idéaux de tolérance, de respect mutuel, de coopération se sont répandus. Les méthodes pédagogiques se sont adoucies. Dans le même temps, la violence des élèves a beaucoup diminué, mais malheureusement pas de façon définitive.
En effet, depuis une dizaine d’années, la régression est évidente. Elle est certainement liée au durcissement des conditions de travail et des relations humaines, ainsi qu’au triomphe (momentané) des valeurs égoïstes de réussite de plaisir individuel, aux dépens des valeurs collectives de solidarité et d’altruisme. Le brassage des populations est une autre cause possible de cette détérioration. Il a réintroduit dans une école plus "civile" qu’autrefois des élèves dont la culture d’origine, par ailleurs digne de respect, véhicule certaines valeurs archaïques: honneur clanique, responsabilité collective, loi du silence, devoir de vengeance, loi du talion aggravée.
On peut distinguer au moins quatre types de violence juvénile :
- Elle peut venir des profondeurs du psychisme. Elle est alors liée à l’instinct de survie, à l’affirmation de soi, à la volonté de puissance.
- Plus superficiellement, elle peut naître d’un jeu qui tourne mal, les injures ou les coups distribués "pour rire" étant ressentis comme de vraies attaques.
- Elle peut répondre, de façon parfois disproportionnée, à la détresse provoquée par des éducateurs ou d’autres jeunes, ou encore née de drames familiaux.
- Elle peut être qualifiée de culturelle, liée à des conceptions plus ou moins primitives qui entrent en conflit avec celles qu’affiche notre société.
À la multiplicité des causes et des formes de la violence écolière doit répondre une stratégie globale, mobilisant tous les acteurs de la santé scolaire, enseignants, médiateurs, directeurs, infirmières, médecins, psychologues, etc. Il leur incombe de faire des écoles des lieux plus accueillants et plus sûrs, de reconnaître l’élève comme une personne à part entière, avec ses devoirs, certes, mais aussi ses droits. Parmi ceux-ci, l’un des plus fondamentaux est celui de se plaindre des violences dont il est victime: c’est le seul recours des petits et des faibles. Il s’agit aussi de développer la capacité des élèves de s’affirmer, d’écouter et de respecter les autres, de négocier, de résoudre pacifiquement les conflits - tout cela dans le cadre rassurant de règles claires, applicables à tous.
Cet ambitieux programme de prévention engage avant tous les établissements scolaires eux-mêmes. Parmi d’autres tâches, l’Office des écoles en santé, récemment créé par le Conseil d’Etat, a pour mission de soutenir leurs efforts.
©de Vargas - 24Heures
Vous assimilez d’un coup de plume marginaux, Prélaz, Sleep-In et violence. Mais qu’est-ce qui vous permet de faire l’amalgame entre le "centre autogéré de Prélaz" (qui en fait est un Espace Autogéré !) et les agressions dans les bus? Avez-vous des preuves formelles quant à l’identité de ces gens ?
Vous laissez entendre que la violence est le seul fait de quelques "marginaux" regroupés autour de Prélaz et du Sleep-In alors que nous vivons dans une société faite de violence: concurrence économique, rapport de force entre les nantis et le peuple, poids commercial disproportionné au social, déséquilibre entre les directions et les employés, etc.
Pourquoi chaque fois qu’il est question de violence, tous les regards se tournent-ils vers certains groupes de personnes que la société a désignés comme étant des "marginaux", comme s’ils étaient les seuls fauteurs de cette violence, comme s’il n’y avait qu’eux de violent, comme s’ils personnifiaient à eux seuls ce mal? Il est frappant de constater à quel point cette société chaque fois qu’elle est confrontée à ce problème, désigne et accuse les victimes de la violence sociétale comme étant les propagateurs de cette violence et se permet de faire de la prévention policière précisément auprès des gens qui dénoncent les agissements agressifs de cette société: rapport de forces entre dirigeants et la population, compétitivité commerciale, développement industriel tout-puissant, pouvoir abusif de l’argent, promotion et spéculation immobilière, politiques répressives et préventives envers les groupes alternatifs traités de marginaux, classification et hiérarchisation des gens et leur intégration dans les casiers sociaux fabriqués par les nantis et les possédants des richesses matérielles.
L’article du 22 octobre sur la violence dans les TL est à ce propos exemplaire: cette fois-ci ces groupes ont été clairement désignés et nommément cités et on laisse entendre qu’ils sont responsables de cet état de fait. Et la seule solution pour résoudre ce problème semble être d’exiger plus de contrôles, plus de répression, plus de force de police, toutes choses qui aggraveront la situation. Or cette violence est le fait de la société toute entière et elle est présente dans tous ses aspects et chez chaque individu. L’Espace Autogéré et le Sleep-In n’ont pas à être les boucs émissaires des manquements de cette société, ni les coupables de l’état du monde. Au contraire, dans les deux groupes susmentionnés, la gestion de l’agressivité par les moyens pacifiques est utilisée avec succès et il n’y a jamais eu de débordements de violence lors des multiples activités organisées par ces groupes, tous les conflits étant résolus par l’action non-violente.
©Georges Tafelmacher - 24Heures
Retour de manivelle.
Les fidèles de 24 heures trouvent périodiquement dans le courrier des lecteurs des lettres de personnes âgées clamant leur indignation et, parfois, leur colère. Elles ont été bousculées dans les transports publics par des "jeunes". Elles ont été frôlées sur un trottoir par un "jeune" monté sur roulettes. Elles ont été troublées dans leur repos nocturne par des "jeunes". Et de se lamenter sur l’état du monde actuel où la jeunesse n’est plus ce qu’elle fut naguère: calme, polie, respectueuse des usages.
Hum ! Hum !
Mémoire brouillée, enjolivement du passé, rage de vieillir? Il y a un peu de tout cela dans ces plaintes. On ne connaît pas d’époque qui n’ait pas ses contempteurs de la turbulence juvénile. On pourrait composer une anthologie de tous les morceaux de bravoure littéraire où des grognons déplorent la dégradation des manières dans les générations montantes.
Pour s’en tenir aux jours d’aujourd’hui, peut-on croire que le passage d’un monde à un autre soit sans influence sur le comportement de la jeunesse? Un simple coup d’œil aux transformations les plus récentes du mode de vivre devrait tempérer des jugements sévères.
Ils le sont au point d’étonner un lecteur que l’on devine encore proche de ses vertes années. Il est frappé de rencontrer dans le courrier des lecteurs «une façon souvent agressive de se renvoyer chacun sa vérité». Il la trouve «plus inquiétante de violence que celle de quelques ados le soir aux abords d’un collège de banlieue». Il écrit encore: «Elle témoigne, de la violence de nos rapports entre adultes, de notre nervosité de fin d’époque, de notre incapacité à inclure le discours de l’autre dans le nôtre, d’en retenir quelque chose, en bref de notre rejet !». Et de conclure : «Le courrier des lecteurs, ses jugements expéditifs et sentencieux et sa violence latente fait, parfois, froid dans le dos.» On soulignera le "parfois" qui retient de mettre tous les correspondants dans le même panier.
On retiendra, en revanche, le ton inhabituel de ce texte bienvenu. Il demande à celles et ceux que l’on désigne maintenant sous le terme d’aînés de suivre le philosophe Spinoza: «Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas avoir horreur mais comprendre.» La leçon, soit dit en passant, vaut aussi pour les journalistes. Cette interpellation a le mérite de rappeler que la violence est également répartie non seulement dans les couches sociales mais également entre les tranches d’âge. Ce sont ses modes d’expression qui différent. L’intolérance de ronchons invétérés tombés dans une sorte de racisme antijeunes est à un autre degré que les outrances du groupe NTM. Elle est cependant de même nature.
Il n’appartient pas aux responsables de la rubrique "Courrier des lecteurs" d’imposer une irénique douceur quand elle est absente. Libre à eux de jeter à la corbeille des propos qui seraient autant d’insultes globalement décochées à la jeunesse ou à tout autre groupe social. Un journal qui se piquerait d’éduquer le troisième âge sortirait de son rôle. Il n’a pas qualité pour se faire moniteur. Lieu de dialogue, principalement entre la rédaction et son lectorat mais aussi entre ses lecteurs, la rubrique gagne en intérêt quand les invectives n’y trouvent pas leur place. Une certaine vivacité de style, oui. Elle anime le débat. On y rencontre des trouvailles de vocabulaire et des formules qui font pschitt. Elles n’empêchent pas une démarche inspirée par le désir d’aller à la rencontre d’autrui pour parler et non pour le rouer de mots. Des choses doivent être dites. Pourquoi ne le seraient-elles pas de telle façon qu’elles soient entendues ?
Cela s’applique également aux rapports avec les journalistes. Ils commettent des erreurs; ils irritent parfois; ils déplaisent souvent. Est-ce un motif suffisant pour s’adresser à elles et à eux en des termes que l’on se garde d’utiliser ailleurs? Ils se consolent en pensant que c’est une forme d’attachement au journal que d’attendre la perfection de la part de celles et ceux qui le font.
«L’intolérance de ronchons invétérés tombés dans une sorte de racisme antijeunes est de même nature que les outrances du groupe NTM»
FRANÇOIS GROSS - Journaliste 24Heures
©24Heures
L’INVITÉE - «L’aggravation de la responsabilité pénale, par une assimilation aux adultes dès 16 ans, voire 14, accentuerait la tendance à la destruction de l’enfance».
Les manifestations de violence de la part de quelques jeunes – souvent trop médiatisées – ne manquent pas de faire naître une certaine inquiétude. Tous les partis politiques s’en préoccupent peu ou prou et proposent des mesures. L’UDC n’y fait pas exception. Outre des mesures "civiles", ce parti envisage aussi des mesures pénales dont quelques-unes sont totalement justifiées et d’autres inadmissibles. Nous mettons volontiers dans la première catégorie la nécessité de la rapidité: il faut que les infractions commises par des mineurs soient rapidement jugées et les sanctions exécutées. La rapidité relève de la pédagogie.
Il serait également souhaitable – comme le propose l’UDC – de ne pas assimiler la réprimande à une sanction pénale. C’est une pure mesure éducative. De même, il serait juste de soumettre à des exigences renforcées la libération conditionnelle – en cas de peine privative de liberté – comme la période probatoire et la mise à l’épreuve (en cas de sursis par exemple). Quant à la conversion de peines privatives de liberté en prestations personnelles (services à la communauté ?), il est évident qu’elle ne devrait pas être possible sur demande du (jeune) délinquant. Elle ne devrait dépendre que de l’appréciation unilatérale de l’autorité, dans des cas bien limités, et rester l’exception. Mais à toutes ces propositions marquées au coin du bon sens, l’UDC en ajoute deux que nous ne pouvons que rejeter énergiquement: il s’agit de l’abaissement de 18 à 16 ans de l’âge à partir duquel le droit pénal des adultes serait applicable; et de 16 à 14 ans de l’âge à partir duquel une peine privative de liberté de quatre ans pourrait être prononcée. Le défaut principal de ces deux propositions tient au fait que les mineurs supporteraient les conséquences d’une erreur de notre société. Rien n’est en effet plus erroné que de vouloir abaisser l’âge à partir duquel des enfants – même adolescents – doivent assumer les conséquences de leurs actes comme s’ils étaient des adultes.
Nos sociétés contemporaines – c’est une mode généralisée en Europe – ont abaissé l’âge de la majorité de 20 (ou 21) ans à 18 ans sans se préoccuper le moins du monde de l’intérêt des jeunes. La démarche était déjà illogique à une époque où la durée des études et l’espérance de vie s’allongent. Mais elle permet aux adultes – notamment aux parents – de se dégager plus rapidement de leur responsabilité. Si l’on ajoute à cela les efforts scolaires de "conscientisation" des élèves, c’est-à-dire de développement de l’angoisse environnementale, de la culpabilisation Nord-Sud, du dénigrement du passé proche et de la coupure d’avec la famille, non seulement par les méthodes d’enseignement, mais aussi par le biais des semaines "à la montagne" ou ailleurs dès les toutes premières années primaires, on se rend compte que tout est mis en œuvre pour voler leur enfance aux jeunes.
Qu’on y ajoute une aggravation de la responsabilité pénale, par une assimilation aux adultes dès 16 ans, voire 14, et on accentuera la tendance à la destruction de l’enfance. Est-ce réellement une manière de lutter contre la violence ?
Suzette Sandoz - 24 Heures © Edipresse Publications SA
Pully, le 22 Août 2007
Madame Suzette Sandoz, PULLY
Concerne : votre Opinion «Voler leur enfance aux jeunes ?» parue dans le 24 Heures du 22 Août 2007
Chère Madame,
C’est avec joie qu’habituellement je vous lis mais à la lecture de votre dernier papier paru dans le 24Heures du jour, je dois vous avouer que vous m’avez profondément déconcerté. En effet, après avoir parcouru les neuf-dixième de votre essai qui fustige l’UDC que j’ai dégusté avec un plaisir comblé et avec lequel je suis entièrement d’accord, je suis tombé sur cette dernière phrase qui, de prime abord, n’avait rien à faire dans votre démonstration et qui, persifleuse, tendrait à disqualifier, que dis-je, à discréditer ce merveilleux travail de "conscientisation" que font ces chères maîtresses envers leurs élèves dans les écoles publiques qui ne semblent plus mériter votre estime.
Il me semble que ces temps il y a un travail de sape intense et concerté en marche contre l’école publique accusée de tous les torts notamment celui de fabriquer des jeunes sans repères, foi ni loi. Cela a commencé avec votre amuseur public le Dr. J-A. Haury et maintenant c’est vous qui signez et plus grave, persistez! Mes bras m’en tombent !!
En effet, peut être que vous n’êtes pas très au courant des petits travers de notre monde moderne mais il y a des graves problèmes de société qui nous tombent dessus à cause de notre recherche inassouvie de satisfaction immédiate de besoins que cette société néolibérale nous a inculqué avec une ardeur infinie. À cause d’une inconscience volontaire et d’une vision par trop matérialiste de la vie et de la société, nous suffoquons sous l’effet de 100’000 produits chimiques que l’industrie a disséminé dans notre environnement, de gaz d’échappement vomis par nos millions de voitures automobile tractées par d’invraisemblables moteurs à combustion interne à la pollution mortelle, d’un bétonnage spéculatif immobilier excessif et d’une dissémination d’OGM transgéniques. Assimiler nos efforts de prendre conscience de ces graves atteintes à de "l’angoisse environnementale" ou de "la culpabilisation Nord-Sud" est vraiment le plus mauvais service que vous pouvez nous rendre car il réduit à néant tous les efforts que nous avons fait jusqu’à présent pour comprendre ces faits et de faire quelque chose pour nous en sortir.
Mais le point qui me surprend le plus est que vous puissiez croire que cette "conscientisation" puisse «Voler leur enfance aux jeunes» alors que s’il y a "vol d’enfance" cela est plutôt le fait de la TV, des jeux électroniques, des longs voyages sanglés en voiture automobile (avec console de jeu dans les reposes-têtes), de la pratique sportive compétitive, du libre affichage tout-azimuts grandeur mondiale H&M affichant les formes féminines d’une manière sexuellement tendancieuses, soit toutes les attributs de cette société post-industrielle et libérale. Il est quand même pour le moins surprenant que vous puissiez vous insurger contre quelques maîtresses cherchant à sensibiliser les jeunes sur les dérives de notre société alors que vous n’évoquez pas les vraies raisons du "vol d’enfance" et la société qui se permet cela. Mais ceci n’explique-t-il pas cela ?
En effet, chaque fois qu’il s’agit de "comprendre" les vraies causes des problèmes de société que nous traversons et de voir quelles en sont nos responsabilités, il y a toujours un ou une intellectuel ou intellectuelle de droite qui va dériver en touche faisant que votre société soi-disante libérale ne sera jamais mise en cause. Comme toujours, c’est toujours «la faute à...» – l’école, les gens, la gauche, les moutons noirs, les parents dites laxistes, les jeunes dits délinquants, etc et des meilleurs...
À part cela, vous avez parfaitement raison, effectivement «tout est mis en œuvre pour voler leur enfance aux jeunes» mais ce n’est pas le fait des maîtresses d’école consciencieuses mais de tout un contexte social dont vous avez contribué à construire au même titre que "Mattel®", Nestlé®, Migros, Sandoz, soit les acteurs principaux et constitutifs de cette société néolibérale.
Autant que je salue votre rigueur morale et juridique, je ne peux vous suivre dans votre exposé pour le moins tendancieux surtout dans son dernier paragraphe et je ne peux admettre que des personnes aussi braves que ma femme (qui est maîtresse d’école enfantine et qui pratique le "constructivisme sociale" et la "conscientisation" aux problèmes de société) puissent être accusées de «voler leur enfance aux jeunes» alors qu’elles font tout pour que les choses puissent évoluer autrement et que les enfants puissent grandir harmonieusement...
En dépit de mon découragement passager, je maintiens le respect que je vous dois et en vous priant de m’excuser ce coup de sang, veuillez d’agréer, Madame, mes salutations distinguées et épistolaires...Georges Tafelmacher
Pully, le 30 Août 2007
Madame Suzette Sandoz, PULLY
Je vous remercie de la peine que vous vous êtes donnée pour répondre à ma lettre "coup de sang" !
Certes nous avons une grande chance inouïe de pouvoir vivre dans un pays libre qui s’enrichit des opinions diverses de ses habitants, même si certains ont plus facilement accès aux médias que la grande majorité et peuvent ainsi mieux nous asséner leur lecture du monde.
Mais vous n’avez pas pour autant répondu à la question pertinente que votre "Opinion" parue dans le 24 Heures du 22 août courant a suscitée en moi. Vous avez pu librement nous faire part de vos opinions et celles-ci ont quand même passablement égratigné ces malheureuses maîtresses d’école accusées de «voler leur enfance aux enfants» alors qu’elles ne faisaient que de chercher à aider leurs élèves à mieux affronter ce monde moderne aux «phénomènes que nous déplorons tous les deux». Contrairement à ce que vous affirmez, elles ne cherchent en aucun cas à «les couper de leurs familles», ni à «développer une culpabilisation Nord-Sud» chez eux.
Si j’ai bien compris le sens de votre petite missive, vous persistez dans vos accusations envers le travail des maîtresses sans en apporter la moindre preuve de ce que vous avancez. Le propre d’un "pays libre" est que nos dires et affirmations doivent être confirmés par des observations vérifiables et si les enfants voient leur enfance voler, ce n’est en aucun cas la faute des «efforts scolaire de conscientisation». En effet, les maîtresses ne font que de palier aux «phénomènes de cette société que nous déplorons» qui ne peuvent leur être imputés.
D’après moult observations, il semblerait qu’une solution pour "résoudre" ces problèmes de notre société («que nous...» !) serait de justement de palier à l’inconscience humaine par la "conscientisation" des individus pour engager au plus vite nos responsabilités envers notre Terre et ses habitants, des plus petits aux plus grands. Sans cette "prise de conscience", pas de responsabilisation individuelle, pas d’initiative positive, pas de solution contre la violence.
Je tiens quand même à vous faire remarquer que si je me suis permis de faire irruption chez vous avec ma lettre "coup de sang" du 22 août courant, ce n’est pas par lubie ou malveillance mais belle et bien parce que vous avez publié votre "Opinion" dans un journal réputé de "gauche" et que certaines de vos affirmations contenaient des accusations pouvant porter ombre au travail désintéressé que fournisse la noble corporation des maîtresses d’école dont ma femme est membre à part entière et de plus, formatrice d’enseignants au Congo. Je me devais de les défendre car votre article a causé un certain émoi chez elles et me sentant solidaire, j’ai pris sur moi de vous adresser nos objections.
Puis-je vous demande d’enfin répondre de manière satisfaisante à nos interrogations en laissant de côte votre rhétorique "libérale" à chaque fois qu’une question gênante vous êtes posée.
Veuillez agréer, chère Madame, mes salutations les meilleures et les plus chaleureuses.Georges Tafelmacher
D’autres pages sur la fessée et la violence
La fessée - est-ce vraiment néfaste ?
Pourquoi tant de violence ?
Recherches sur la violence
Pourquoi interdire la fessée
Pourquoi tant de haine ?
La Violence de la fessée
Correspondance avec Jean Ziegler
La loi contre les fessées
États généraux de la violence chez les jeunes: prévention et répression
Les jeunes et la violence - phénomène et son évolution.
Dossiers préparés par ©Georges Tafelmacher & SuisseForum